Plastir N°75 12/2024

UNE EXPLORATION PLASTIQUE DE L’INFRAVISIBLE SCIENTIFIQUE : DUCHAMP ET LE NANOART 

Giancarlo RIZZA est physicien et directeur de recherche au Commissariat à l’Energie Atomique (CEA) à l’École Polytechnique. Titulaire d’un doctorat en sciences de la matière de l’Université Paris-Sud (Paris-Saclay), il s’est d’abord spécialisé dans les processus d’interaction ion-matière. À ce titre, il a été membre du comité de pilotage de la conférence internationale Radiation Effects in Insulators (REI) et du Groupement de Recherche (GdR) NACRE (Nanocristaux dans les diélectriques pour l’électronique et l’optique). Il a également collaboré avec l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA). Par la suite, il a fondé et dirigé le Centre de microscopie électronique de l’École polytechnique (Cimex), où il a piloté le projet stratégique Nan’eau pour l’Université Paris-Saclay, visant à créer une plateforme de microscopie multi-corrélative combinant électronique, optique et rayons X. Actuellement, ses recherches se concentrent sur l’impression 4D de résines nanocomposites intelligentes. Il a également été membre du comité de pilotage de la chaire Arts & Sciences (École polytechnique, École des Arts Décoratifs, PSL et Fondation Daniel et Nina Carasso) et de l’école d’été Useful Fictions. Il s’engage depuis plusieurs années dans le renforcement et le renouvellement des liens entre la science et la société. Conscient de l’importance de rendre la science accessible et compréhensible au plus grand nombre, il développe des formats originaux mêlant engagement public et innovation pédagogique. Ces initiatives visent à décloisonner la recherche scientifique, à stimuler le dialogue avec divers publics et à encourager une meilleure compréhension des enjeux scientifiques contemporains. Dans le cadre de ces actions en art&science, il explore également les interactions entre les nanotechnologies et l’art. Cette démarche transdisciplinaire, où la science rencontre la créativité artistique, lui permet de révéler les dimensions transdisciplinaires – esthétiques, sociales et philosophiques- des technologies de pointe. Manon ABT est doctorante au sein du département d’histoire de l’art de UCL (University College London) et étudie la préservation des premières œuvres d’art informatiques (1960-1991). Ses recherches proposent une analyse comparative des stratégies de restauration-conservation développées par des musées, des groupes de recherche universitaires et des artistes pour restaurer et exposer des œuvres d’art informatiques. Elle examine comment ces stratégies questionnent les principes de restauration-conservation à travers des études de cas situées au Royaume-Uni, en France, en Allemagne, en Pologne et au Japon. Avant son doctorat, Manon a travaillé sur les liens entre les nanotechnologies, l’art et l’infra-perceptible avec Giancarlo Rizza, au sein de la Chaire Arts et Sciences de l’École Polytechnique, de l’EnsAD-PSL et de la Fondation Carasso. Cet article montre comment les découvertes scientifiques d’une réalité imperceptible ont conduit Marcel Duchamp à s’interroger sur la plasticité d’une matière invisible à nos sens : la poussière. À l’intersection de l’art, de la littérature et de la science, cette réflexion s’inscrit dans le contexte du début du XXe siècle, marqué par une remise en question de notre perception de la réalité. En reliant les avancées scientifiques (rayons X, électrons, atomes) aux avant-gardes artistiques, Duchamp passe d’un art rétinien, axé sur le goût, à un art conceptuel qu’il nomme « art de la matière grise ». À travers Le Grand Verre et la photographie Élevage de poussière (réalisée avec Man Ray), l’article met en lumière l’utilisation de la poussière comme matériau plastique pour établir un lien entre l’infraperceptible scientifique et sa notion d’inframince, ouvrant la voie à ce qui sera plus tard désigné comme le « nanoart ».

ENTRE ABSENCE ET PRÉSENCE : LA CONVERGENCE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, DES TECHNOLOGIES DE DÉTECTION ET DE L’ART


Laura CINTI est une artiste basée sur la recherche qui travaille à l’intersection de l’art, de la science et de la technologie. Elle dirige actuellement un projet utilisant la technologie des drones et l’intelligence artificielle pour rechercher l’homologue féminin d’un cycade mâle extrêmement rare, au bord de l’extinction. Les œuvres de Laura ont été exposées et présentées dans le monde entier. Elle est chargée de recherche à la Winchester School of Art de l’université de Southampton et fait partie du collectif artistique C-LAB à Londres.  Elle est connue pour son utilisation de la biologie végétale comme moyen d’expression, examinant les implications éthiques, philosophiques et écologiques de l’interaction de l’homme avec la nature. Laura est cofondatrice de C-LAB, un collectif de recherche art-science, où elle collabore à des projets qui fusionnent l’enquête scientifique et l’expérimentation artistique, en se concentrant particulièrement sur la vie végétale, l’écologie et la biotechnologie. Son travail incite les spectateurs à repenser les relations entre l’homme, la technologie et le monde naturel. Le projet AI in the Sky présenté dans Plastir utilise l’intelligence artificielle et les technologies de télédétection pour rechercher un partenaire pour une espèce rare de cycade classée comme « éteinte à l’état sauvage » et connue sous le nom d’Encephalartos woodii.  Un seul spécimen mâle a été découvert dans la forêt de Ngoye, en Afrique du Sud, où il a été prélevé. Depuis, il a été propagé dans des jardins botaniques sous forme de clones de l’original, tous les spécimens existants étant des mâles. Bien qu’aucune femelle n’ait été documentée, cette forêt dense contient de nombreuses poches inexplorées qui pourraient permettre à l’une d’entre elles de se cacher sous la canopée. En utilisant des drones, des capteurs d’images et l’intelligence artificielle, ce projet tente de surmonter les limites des études traditionnelles à pied en cartographiant la forêt afin de capturer les caractéristiques cachées et d’automatiser le processus de recherche. La recherche de la femelle vise à mettre en lumière la situation critique de ces plantes anciennes, à explorer de nouvelles méthodes de conservation en utilisant des technologies telles que l’IA et la télédétection comme nouveaux moyens de vision et de recherche, et à aborder les implications plus larges de ces technologies lorsqu’elles sont entrelacées avec l’art et, par extension, avec l’écologie.

CORPS DE MÉMOIRES SENSORIELLES POUR LA CRÉATION : COLLECTER, PERFORMER 

Marisella PACHECO est designer sensorielle spécialisée dans la création d’expériences numériques innovantes. Actuellement doctorante à l’Université Jean Jaurès, Elle effectue une thèse à l’Université Toulouse-Jean Jaurès, au sein du laboratoire LLA-CREATIS, intitulée “Design d’expérience, l’expérience du design et l’émergence d’un patrimoine sensoriel numérique”, intégrant des techniques de performance artistique pour repenser le métier de designer d’expériences numériques. Fondatrice de la startup Munity, elle développe des solutions personnalisées adaptées à l’imaginaire sensoriel des utilisateurs, transformant des processus physiques en expériences numériques intuitives. En parallèle, elle explore le design culinaire en valorisant les pratiques rituelles et les traditions ancestrales. Elle collabore avec Delphine Talbot pour KatchaKatcha, un projet international qui sensibilise les participants à leurs sensations et redéfinit des éléments culturels par la création de performances à l’international. Delphine TALBOT est Maître de conférences en Arts plastiques, Design, membre permanent du laboratoire LLA CREATIS, et co-responsable des Master « Création Recherche Innovation en Couleur » et « Design sensoriel » à l’Université de Toulouse 2. Ses recherches portent sur les notions de design situé, de territoires chromatiques et d’ethno-poïétique, impliquant les fondements de l’anthropologie du sensible et des cultures matérielles. Ses activités de recherche-création s’inscrivent dans deux grandes thématiques : “pratiques et théories de la couleur”, investissant des études de terrains (principalement au Japon) et la connaissance de techniques tinctoriales, et “matériaux et matérialités”, impliquant l’exploration et la conceptualisation d’une dimension polysensorielle relative aux effets et aux usages. La création de performances de design culinaire (KatchaKatcha) et d’expériences immersives, et la dimension interculturelle, conjuguent les enjeux forts de sa pratique artistique. Les travaux les plus récents portent sur la problématique du care design, impliquant le végétal tinctorial et médicinal. Le travail présenté ici a été réalisé dans le cadre d’une approche de recherche-création combinant des outils issus de l’ethnographie et une pratique de design situé, les performances de design culinaire KatchaKatcha réactualisant les mémoires collectives d’un territoire grâce à la création d’expériences sensorielles immersives et participatives. Les traditions culinaires sont réinventées, métissées voire transgressées, créant des espaces liminaux propices à la réappropriation signifiante des habitus et à la stimulation de l’imaginaire des spect’acteurs. La notion de corps-mémoire est centrale, impliquant les matériaux issus des terrains, tels des archives vivantes, précurseurs de reconnexion mémorielle et de transformation des repères culturels. Contrairement aux happenings classiques, KatchaKatcha engage activement les habitants comme cocréateurs, favorisant une réappropriation collective des patrimoines sensoriels vers la constitution de matrimoines valorisés par l’acte performé impliquant gestes, matériaux et recettes collectés in situ. Cette approche interdisciplinaire propose des espaces d’interactions sensibles entre mémoire, imagination et création. Le projet affirme ainsi le rôle essentiel du sensible et de l’imaginaire dans les pratiques d’innovation culturelle et sociale.

CRISE DES SCIENCES ESTHÉTIQUES ET PHÉNOMÉNOLOGIE DE LA RAISON ESTHÉTIQUE – PARTIE II : L’ŒUVRE D’ART COMME OBJET DANS SES « MANIÈRES » ET LE TABLEAU COMME SURFACE DE RIEMANN

Ancien directeur de programme au Collège International de Philosophie (2013-2019), Carlos LOBO enseigne depuis 1998 en CPGE. Associé aux Archives Husserl (ENS), et au Centre Gilles Gaston Granger (Aix-Marseille), il est co-fondateur du Centre de Recherches en épistémologie, analyse logique et phénoménologie dont il dirige la revue, Intentio, créée en 2019. Ses recherches s’inscrivent dans la perspective d’une réactualisation de la phénoménologie transcendantale husserlienne, qui passe par la reconstitution et le prolongement des dialogues et les transactions souvent implicites mais parfois explicites, des figures de l’épistémologie, de la philosophie des sciences, des mathématiques ou de la logique (Weyl, Hausdorff, Peirce, Bachelard, Rota, Châtelet, Desanti, Thom, Gil, Girard, etc.). Il a traduit H. Weyl, Philosophie des mathématiques et des sciences de la nature, MétisPresses, Genève, 2018; publié avec J. Bernard, Weyl and the Problem of Space, From Science to Philosophy, Springer, 2019 et  avec L. Boi, When Form becomes Substance: Diagrams, Power of Gesture and Phenomenology of Space, Birkhäuser/Springer, 2022. La phénoménologie a également fécondé, selon des modalités parallèles, les investigations les plus novatrices du vingtième siècle dans le champ de l’éthique, de la théorie de la valeur, de la déontique ou du droit, mais aussi de l’esthétique. Se rattachent à cette ligne de recherches les publications : « Relativity of Taste without Relativism. An Introduction to Phenomenology of Aesthetic Experience », Miscellanea, Antropologica & Sociologica, 2018, Tome, 20, Varsovie ; « Du maniérisme épistémologique au maniérisme esthétique.Quelques propositions et exemples pour une exploration phénoménologique de l’espace de jeu artistique », La Part de l’œil, Dossier : Exposition / Espace / Cadre, N° 33/34, 2020. « Le problème de la morphogénèse chez Thom au croisement de la phénoménologie transcendantale et de la théorie des catastrophes », Esthétique du Vivant, René Thom et la plasticité des formes, La Part de l’Œil, N° 38, 2024, p. 185-199 que nous avons recensé sur le site de PSA/Publications. Cet article constitue, comme annoncé, la seconde partie de l’article de Carlos Lobo paru dans Plastir n°74 (cf. résumé). Elle étend notamment son étude approfondie de la crise des sciences esthétiques et phénoménologie de la raison esthétique en considérant l’œuvre d’art comme objet dans ses « manières » et surface de Riemann.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

  • NEWSLETTER

    Give your input !