Jean-Pierre LUMINET est astrophysicien, écrivain et conférencier international. Chercheur au CNRS depuis 1979, il a exercé à l’Observatoire de Paris jusqu’en 2014. Aujourd’hui directeur de recherches au Laboratoire d’Astrophysique de Marseille, ses travaux scientifiques sur les trous noirs et la cosmologie ont fait sa renommée internationale. Il a été le premier en 1978 à calculer numériquement l’aspect visuel d’un trou noir, image confirmée en 2019 par les observations télescopiques. En 2003, il avait également fait la une des revues scientifiques du monde entier pour sa théorie d’un univers fini et « chiffonné ». Lauréat de nombreux prix, dont le Prix Européen de la Communication Scientifique 2007, l’astéroïde n°5523 porte son nom en hommage à ses travaux. Il est également Officier des Arts et des Lettres et membre du comité scientifique de Plasticités Sciences Arts. A ses activités de scientifique, il ajoute celle d’un auteur tour à tour essayiste, romancier et poète dans une œuvre protéiforme où science, histoire, musique et art sont liés. Il a publié une trentaine d’ouvrages, traduits en une douzaine de langues, ainsi que des CDs, des DVDs et des documentaires pour la télévision. Son dernier ouvrage, « L’écume de l’espace-temps », paru en octobre 2020, est consacré aux théories de gravitation quantique. Il nous livre pour notre plus grand plaisir dans PLASTIR, revue à laquelle il nous avait fait l’honneur de contribuer dans les tous premiers numéros avec l’artiste Anne-Marie Pochat (Plastir 3, 04/2006), puis en 2009 (Plastir 15, 06/2009) avec Elisa Brune (Bonne nouvelle des étoiles), ses réflexions sur l’inventivité du scientifique et les liens étroits qui peuvent l’articuler à la création artistique. De fait, Jean-Pierre Luminet nous montre au travers de grands noms de la poésie tels St John Perse et Valéry (qui s’est notamment illustré dans le berceau méditerranéen) comme de la science avec Einstein ou Kepler, que parmi les avancées de la physique moderne, figurent les différentes théories de « gravité quantique » tentant d’unifier les lois de l’infiniment grand et de l’infiniment petit. Toutes ces approches témoignent de l’extraordinaire liberté d’invention dès qu’il s’agit de comprendre la « fabrique » de l’univers. Elles mettent également en avant les limites de la « méthode scientifique » usuelle qui, trop strictement appliquée, freine la créativité et la découverte, sans oublier le rôle de représentation archétypale du monde que les scientifiques les plus imaginatifs portent en eux au même titre que les artistes. Cette exploration du domaine art-science, de plus en plus prégnante et légitimement réciproque aujourd’hui, ne peut que s’enrichir de ces expériences croisées ! Découvrez Luminesciences, le blog très richement alimenté de l’auteur : https://blogs.futura-sciences.com/luminet/
Susannah HAYS MFA, MA, Ph.D est une artiste photographe et professeur universitaire; son approche philosophique à la création d’images contribue à sa compréhension de la condition humaine. Grâce à sa publication La Nature comme Discours : une Approche Co-Evolutionnaire à l’Art et au Design d’Environnement (Université de Californie, Berkeley, 2016) et de son Discours de la Nature : la Transdisciplinarité et le Fonctionnement du Nerf Vague (ATLAS, 2018), elle est entrée en Août 2019 dans l’Institut Cape Cod du Dr Porges afin de débattre l’impératif biologique et moral des programmes des disciplines humanistes et d’instiller les curricula indispensables à la transformation responsable de notre système nerveux autonome, actuellement somatiquement sous pression, afin que des énergies psychiques néocorticales, plus élevées et plus récentes du point de vue évolutif, puissent affiner et adapter notre potentiel humain (encore dormant, dans une large mesure). Elle travaille actuellement comme consultante à l’Intropy=Entropy Institute de San Francisco (California) et est membre du CIRET (Paris, France) et du CETRANS (São Paulo, Brésil). Cette contribution, réalisée en collaboration avec le psychiatre et neuroscientifique Stephen W. Porges, auteur de la théorie polyvagale, et avec l’artiste et architecte moderniste de renom Harold Terry Lindhal, dont vous trouverez les bios dans l’article, fait suite à la précédente publication de l’auteure dans Plastir 59, 12/2020. Elle vise selon Susannah Hays à influer sur la capacité constitutionnelle prolongée de transformer le potentiel de notre espèce, afin que les humains ne restent pas implacablement soumis aux modèles comportementaux de dissolution décrits par Jackson. A cette fin, elle présente la science exposée par le Dr Stephen W. Porges dans sa « Théorie Polyvagale », en parallèle avec la vision artistique intitulée « Gestation, Histoire et potentiel de l’humanité » exposée par Harold Terry Lindahl. De concert, ils expriment un potentiel d’émergence pour la réalisation de perspectives transdisciplinaires de l’art génératif. Comme l’intelligence incorporée dans la conscience humaine est le résultat d’une connexion entre le cerveau et le corps, les processus bio-psychophysiologiques décrits par Porges et l’œuvre de Lindahl suggèrent comment la « rupture entre les organes de réflexion et les organes décisionnels dans la société » pourrait être réconciliée.
CORONAVIRUS, CRISE, MÉTAMORPHOSE ET PENSÉE COMPLEXE CHEZ MORIN
Abdelkader BACHTA est professeur de philosophie à l’Université de Tunis. Auteur régulier de PLASTIR (voir Sommaire), il focalise ses études sur le champ épistémologique, les théories scientifiques et leurs différents courants, notamment le constructivisme et la modélisation mathématique, mais pas seulement. Il a notamment publié dans ce domaine dans le revue DOGMA et consacré un ouvrage à ce sujet intitulé : « René Thom et la modélisation scientifique » chez l’Harmattan en 2013. Dans cet essai, il choisit un angle d’attaque particulier de l’oeuvre de Morin contextualisé par la crise sanitaire que nous traversons tous depuis un an. De fait, qu’il s’agisse de La pensée complexe ou de Pour une crisologie, l’approche humaniste de Morin donne un cadre de lecture à la fois pointu et singulier de la traversée des crises comme de leur mode d’appréhension par un homme de plus en plus acculé, à la fois victime et propre architecte de ses maux. Ainsi, l’impact des coronavirus vont bien au delà du problème sanitaire : ils interrogent, comme le montre bien l’auteur, le choc des cultures, la fragilité de l’humain, son lien indissoluble au milieu et les liens de fraternité qui le lient avec sa mère nourricière, la Terre. Morin dit en substance que « la science n’est pas dépositaire de la certitude »… et que « le confinement peut nous aider à commencer une détoxication de la nature ». Il indique, nous dit l’auteur, le caractère possiblement déviant du coronavirus au sein de l’état critique lui-même, sa virulence multiforme et sa potentialité métamorphique. Point névralgique en temps de crise car il pourrait pousser le système Terre à se dépolluer et se modifier en profondeur, tant sur le plan écologique qu’économique par le biais d’un dépassement des contradictoires mondialisation-démondialisation, croissance-décroissance, développement-enveloppement. C’est là que la pandémie pourrait présenter certains effets positifs pour l’humanité. Selon Abdelkader Bachta, « la pensée complexe (avec ses caractéristiques désignées) constitue le fondement ultime de la pensée de Morin sur le coronavirus », car même si elle est globalisante et n’exclut pas la pensée classique, elle joue sur les incertitudes propres aux états critiques pour accélérer (fomenter ?) le changement.
Catherine MARY est journaliste et écrivaine. Depuis 2012, elle contribue régulièrement au supplément Science et Médecine du journal Le Monde et au journal Le Temps (Suisse). Elle est l’auteure d’enquêtes transdisciplinaires, de critiques, de portraits, de tribunes. Ancienne étudiante à l’ENS de Lyon, elle est docteure en virologie et a également étudié l’histoire de l’art. Elle aborde le journalisme en portant un regard critique sur la manière dont se construit et s’utilise la connaissance scientifique dans le monde contemporain. Elle traite de sujets liés à la définition de la folie, à la bioéthique, aux usages et aux représentation de l’ADN, au marché du médicament ou encore aux rencontres entre art et sciences. Elle s’intéresse également au renouveau du regard sur le vivant et a chroniqué les livres de penseurs tels que Vinciane Despret, Baptiste Morizot ou de l’anthropologue islandais Gisli Palson. Dans Craie et tableau noir, matières à penser (Le Monde, 2014), elle a ainsi sondé le rapport des mathématiciens au tableau noir pour comprendre la fonction de cet objet iconique dans la création mathématique. Dans L’habit en psychiatrie, reflet de nos hésitations (Le Temps, 2016), elle explore le lien entre l’habit du fou et les représentations de la folie. Dans Race : la génétique face à ses démons (Le Monde, 2018), elle sonde les impensés du discours de la génétique contemporaine pour révéler la manière dont ils contribuent à la rebiologisation de la notion de race. Longtemps analyste des politiques internationales de contrôle des maladies infectieuses et émergentes (1997-2011), elle a alerté dès 2009 sur le risque pour la démocratie de la perte de confiance envers les experts médicaux, dans deux tribunes publiées dans Le Monde suite à la pandémie de grippe H1N1. Elle est également l’auteure en 2011, d’un portrait de référence de l’infectiologue Didier Raoult dans la revue américaine Science. En tant qu’écrivaine, elle est l’auteure de « Le Gros » (Color Gang 2011). Elle est aussi lauréate du Prix Résidence d’auteur de la Fondation de Treilles pour l’année 2016 pour un récit autobiographique explorant le thème de la violence intrafamiliale dans un contexte d’emprise sectaire (écriture en cours). Au centre de ses réflexions se trouve la question du point de vue minoritaire rendu invisible par la norme d’un groupe social avec en filigrane la question politique de la coexistence des récits. Elle résume son essai comme suit : Dans sa conférence spectacle Le Pas grand chose, le circassien Johann Le Guillerm incarne un bouffon qui singe les travers scientistes du « scientifis, le fils de la science ». Il se présente comme un idiot, « celui qui ne sait pas mais tente le savoir ». Son esprit corrosif provoque l’hilarité du spectateur, lorsqu’il compare par exemple les capacités des bananes à se balancer sur la tranche. Mais ce spectacle soulève aussi la question philosophique de la nature du regard porté sur le monde, s’inscrivant dans le débat entre les défenseurs de la raison et ceux du sensible qui opposaient déjà au XVIIIe siècle Goethe aux adeptes de la théorie des couleurs de Newton. Ainsi, tout en révélant par une série de monstrations, l’absurdité du monde produit par le scientisme, l’idiot du Pas grand chose dénonce implicitement l’orientation du regard selon un point vue unique qui s’est imposé avec l’invention de la perspective. Dans la filiation des artistes contemporains qui depuis Cézanne questionnent cette focalisation, il s’inspire de sa pratique du cirque pour cartographier ce qu’il nomme « l’espace des points de vue » et tente de faire tenir ensemble, sur une même cartographie, une multitude de points de vue sur un même objet. Poursuivant son récit, il raconte le cheminement intérieur qui l’a amené à construire sa propre culture à mesure que son regard s’ajustait. Il réhabilite ainsi l’expérience sensible du monde, comme voie d’élaboration de la véritable connaissance. Cette opposition entre la raison et le sensible propre à la modernité s’affaiblit néanmoins à l’heure où s’impose la nécessité de repenser la posture du chercheur face aux défis contemporain. Le mythe de l’objectivité scientifique qui jusqu’alors plaçait le scientifique à l’extérieur de son objet d’étude se fissure, et le chercheur, descendu de son piédestal prend peu à peu conscience de sa propre subjectivité. Dans un livre récemment publié aux éditions Odile Jacob, « Le cinéma intérieur », le neurologue Lionel Naccache interpelle ainsi les tenants de la raison sur la nécessité pour chacun de prendre conscience de ses propres croyances. Les projets arts-sciences permettent par ailleurs d’expérimenter de nouvelles postures pour questionner le monde et en leur sein se tissent des alliances inédites entre la raison et le sensible.