LE RYTHME À LA CROISÉE DES MOUVEMENTS DE L’HOMME ET DES MOUVEMENTS DE LA NATURE
Bernard GUY est ingénieur civil des mines (Paris), docteur ès sciences (Université Pierre et Marie Curie, Paris), directeur de recherche émérite à l’École des Mines de Saint-Etienne, Institut Mines Télécom. Ancien directeur du département géologie de l’École des Mines, il conduit des recherches et enseigne en sciences de la terre, physique, et philosophie des sciences. Il a organisé et co-organisé des congrès internationaux en thermodynamique (Joint European Thermodynamics Conference), et philosophie des sciences (Ateliers sur la contradiction). Dans le présent texte, il met la notion de rythme à l’épreuve de sa compréhension du lien fondamental entre espace et temps, saisis dans la primauté du mouvement. Une composition de la rationalité substantielle habituelle avec une rationalité relationnelle est nécessaire pour ce faire. Un certain nombre de points sont exposés de façon préliminaire : – le rythme articule espace et temps (ou spatialités et temporalités) : la trace dans l’espace (qui est mémoire) permet d’exprimer la structure (éventuellement périodique) du rythme par comparaison avec le développement du processus temporel en cours ; – on ne fait qu’apprécier les rythmes les uns par rapport aux autres ; – pour stabiliser ces comparaisons on a besoin de choisir de façon conventionnelle un rythme étalon ; – si l’on veut bien voir cette nécessité de convention, la question de la périodicité du rythme à la limite ne se pose pas ; – la pensée relationnelle fonctionne en deux temps et l’on peut opposer le rythme dans son appréhension première par la perception d’une part, avec son analyse et modélisation dans un discours d’autre part. Nous nous situons ainsi à une croisée : – les rythmes de la nature influencent les rythmes de l’homme (et le temps et l’espace de la nature fournissent des mesures de validité générale); et, inversement si l’on peut dire, – la compréhension des rythmes de la nature n’évite pas des conventions, ou choix, humains. Dans les sciences de la nature et les sciences de l’homme respectivement, le rythme apparaît d’abord – comme un phénomène régulier ou périodique, dans le temps, dans l’espace, ou les deux, en relation avec la propagation d’une onde ; et – comme la structure perçue / transcrite par la succession dans l’espace et/ou le temps, d’événements plus ou moins remarquables appuyés sur l’activité humaine s.l. Bernard Guy insiste maintenant sur le jeu de mouvements relatifs comme support des rythmes (et marquant des limites entre spatialités et temporalités associées), et l’hypothèse d’incréments supposés / décidés égaux découpant le mouvement ; ces points permettent de faire converger la définition du rythme des deux côtés (sciences de la nature / sciences de l’homme). Quelques exemples sont donnés, empruntés tant aux sciences humaines et sociales qu’aux sciences de la nature (sciences de la terre en particulier).
L’ANTIRÉDUCTIONNISME DE LEMOIGNE ÉCLAIRÉ PAR LA PENSÉE DE MORIN
Abdelkader BACHTA est professeur de philosophie à l’Université de Tunis. Ces centres d’intérêt se portent essentiellement sur les approches méthodologiques et les rapports épistémologiques entretenus par les théories scientifiques, notamment en physique, en sciences de l’information et en mathématiques. Il a dans ce cadre publié dans notre revue plusieurs essais sur le réductionnisme, le cartésianisme (Plastir 46, 06/2017), le positivisme (Plastir 41, 03/2016) ainsi que sur les travaux comparés de chercheurs comme Thom (dont l’œuvre est très présente dans les écrits de cet auteur qui a publié un livre sur sa pensée modélisatrice en 2016 (MtL éditions, Tunis), Waddington, Tarski, Kuhn (Plastir 26, 03/2012), Comte ou Lemoigne (Plastir 32, 09/2013) dont il est question dans cet article en rapport à la pensée de Morin. Dans cet essai, Abdelkader Bachta se livre en effet à une étude critique de l’approche antireductionniste de Lemoigne face « au trio ontologique » (dialogique, complexité-reliance) de Morin. Plus précisément, il met face à face ces deux systémistes au profil opposé et pourtant si proches : l’auteur de « La Théorie du système général » (Lemoigne) et l’auteur de « La pensée complexe » et de « La Méthode » (Morin), en tentant de montrer leur positionnement respectif vis à vis du réductionnisme cartésien et comment la pensée de l’un (Morin) éclaire la pensée de l’autre (Lemoigne). Et Abdelkader Bachta de montrer en quoi cette influence morinienne sur le pur systémicien qu’est Lemoigne concerne essentiellement le niveau ontologique et/ou métaphysique, sans que cela heurte véritablement au final la systémique française.
VARIATIONS SUR LE CONCEPT DE FORME EN BIOLOGIE
Roger BUIS est professeur émérite de l’Institut National Polytechnique à l’Université de Toulouse. Il a assuré divers enseignements en Statistiques et en Biomathématiques en Faculté des Sciences et en Ecoles d’ingénieur (Agronomie). Ses recherches ont porté d’abord sur les applications des analyses factorielles à la croissance et au développement de végétaux (plantes vasculaires et systèmes filamenteux). Il les a étendues ensuite à l’analyse des systèmes dynamiques en morphogénèse végétale. Sa participation aux séminaires annuels de Biologie théorique (CNRS) lui fit introduire dans son activité d’enseignant-chercheur diverses considérations épistémologiques. Dans cet article, il aborde le concept de forme comme l’une des notions transverses les plus répandues. La Biologie s’y intéresse depuis fort longtemps. Initialement considéré d’un point de vue signalétique pour décrire et reconnaître un objet ou une espèce, le mot prit progressivement de l’ampleur pour concerner en fait toute variable ou tout processus du vivant. Deux traits sont mis en avant dans cette brève revue. D’une part la généralité d’emploi du mot traduit une grande diversité de sa signification qui fait appel, pour nous éclairer, à la mise au point de modèles mathématiques appropriés, non seulement pout simuler mais surtout pour comprendre. D’autre part, on ne peut saisir ce que sous-entend le mot forme qu’en considérant ses propres variations. Il y a toujours une dynamique de la forme dont les propriétés sont à relier à la multiplicité et à l’évolution spatio-temporelle des processus élémentaires en jeu. On y voit l’expression d’une caractéristique majeure du vivant qui est sa capacité d’adaptation, résultat de sa plasticité morphogénétique.
DE LA LIMINARITÉ DES COLLABORATIONS ARTS-SCIENCES
Vanessa OLTRA est Maître de conférences en économie à l’Université de Bordeaux, spécialiste des questions d’innovation et de créativité, mais aussi de la pensée d’Adam Smith. Également metteur en scène et auteur de théâtre, elle écrit des conférences-performances mettant en jeu les fondements philosophiques du capitalisme libéral, autour des textes d’Adam Smith. Sa pièce Adam Smith Le Grand Tour, publiée en 2016 aux Éditions Bord de l’Eau et aujourd’hui présentée sous forme de conférence-performance, montre comment la pensée philosophique de Smith a été détournée et récupérée à des fins politiques allant à l’encontre de la pensée humaniste du grand philosophe des Lumières Ecossaises. Cette expérience d’exploration théâtrale d’un sujet de philosophie et d’économie politique l’a conduite à s’intéresser à la relation arts et sciences et à créer à l’Université de Bordeaux un programme de résidences d’artistes, ainsi que le festival arts et sciences FACTS, qu’elle a dirigé pendant quatre ans. Cela lui a donné l’occasion d’observer et d’accompagner une quarantaine de résidences d’artistes dans les laboratoires de recherche de l’université. C’est à partir de cette expérience qu’elle analyse dans cet article les collaborations arts-sciences qu’elle propose d’aborder comme des espaces liminaires de création, susceptibles de transformer durablement les pratiques de recherche et d’explorer les frontières et les limites des paradigmes scientifiques dominants.