Herbert Alexander SIMON est l’un des premiers chercheurs à développer une réflexion en profondeur sur les sciences de l’information, les sciences cognitives et le développement de l’intelligence artificielle (IA). PhD en Sciences Politiques de l’Université de Chicago, prix Nobel d’économie en 1978, il a très tôt élaboré des théories (bounded rationality) visant à s’opposer à la rationalité substantive et rejoint la psychologie cognitive en l’appliquant à la notion d’intentionnalité liée au processus de décision-action et à l’interaction homme-machine. Enseignant en sciences politiques à l’Illinois Institue of Technology, puis à la Graduate School of Industrial Administration au Carnegie Institute of Technology de Pittsburgh, il développera les liens entre systèmes économiques et science des comportements, avant de recevoir avec A. Newell le prix Turing en 1975 pour ses travaux de pionnier en IA. En effet, c’est un des pères de l’IA dans la mesure où il énoncera avec Hawkins dès les années cinquante un théorème solutionnant les problèmes liés aux matrices d’entrée-sortie et percevra les enjeux considérables de l’informatique et d’un champ qu’il appellera l’intelligence artificielle ! Il poursuivra sa carrière en tant qu’expert en économie auprès des présidents L. Johnson et R. Nixon durant les années soixante où il sera membre de l’Académie des Sciences des États-Unis. Eco-citoyen avant l’heure, il ne cessera de prôner une citoyenneté active et de montrer la voie quant à l’immense potentiel des sciences de l’information et de leurs liens avec l’étude des comportements humains. Il a publié de nombreux ouvrages traduits dans la plupart des langues du monde (fond déposé au Mémorial H. Simon de Carnegie-Mellon University à Pittsburgh. Penn. USA), mais reste insuffisamment connu en France malgré les soutiens de nombreux chercheurs en économie ou en psychologie sociale (Parthenay, Demailly) et de systémiciens comme J-L Le Moigne qui au travers du réseau MCX diffuse largement sa pensée. Nous nous en faisons l’écho dans PLASTIR, avec une republication en 2011 de son bel article sur l’unité des arts et des sciences (Plastir 22, 03/2011) et dans ce numéro à propos de son intervention en 1984 à un colloque intitulé « Sciences de l’intelligence, sciences de l’artificiel » qui soulevait déjà au travers de propos édifiants et d’échanges fournis avec les participants, des questions brûlantes d’actualité si on en juge par le titre du rapport officiel récemment émis par notre député mathématicien Cédric Villani: « Donner du sens de l’IA ». De fait, le titre même de son intervention donne le ton et ouvre des perspectives qui n’ont pas cessées de se développer, même si il faut contextualiser les propos de Simon. Il se complète dans le fond du texte par la phrase suivante « Il s’agit là d’une autre approche possible de l’univers de l’homme, qui nous permet d’envisager calmement les perspectives de l’intelligence Artificielle ».En effet, si à l’évidence certaines approches (nouveaux langages informatiques, théories psychologiques, traitement de l’information, simulation) étaient encore naissantes, on sent d’emblée dans la tenue du discours à la fois une humilité (sur les propos méthodologiques ou les hypothèses scientifiques) et une vision claire de l’impact à venir de l’IA sur la société et la psychologie humaine. Simon assène ainsi que les études de simulation sur ordinateur doivent prendre en compte la structure interne et la dynamique du processus considéré (à propos des réseaux de neurones artificiels notamment) et ne pas se contenter de le plagier. De même, à propos des relations de l’apprentissage avec les modèles piagétiens du développement où il rappelle la leçon principale de la théorie des systèmes dont les comportements seront très différents si l’on observe les effets à long terme ou à court terme. Simon différencie de même clairement le traitement de l’information des théories neuro-anatomiques : « …pas plus que la chimie du 19e siècle n’était une théorie de physique atomique », dit-il. A propos de la motivation et de la résolution de problèmes, le facteur humain est toujours prépondérant dans son approche de même que la prise en compte des avancées de « « la psychologie du traitement de l’information » et des progrès en neurosciences. Herbert A. Simon ne cessera, comme on le préconise sans cesse à PSA, de faire des ponts (« Models of thought » à propos du programme UNDERSTAND : description verbale d’une tâche et établissement d’une représentation); les aspects socio-économiques de productivité liés au développement des ordinateurs (démocratie industrielle) et les théories de la rationalité limitée ou du ‘satisfecum’ en découlant, n’étant pas en reste. Les relations entre cybernétique et intelligence artificielle sont abordées notamment au travers des questions de Dupuy et de la polémique de D. Andler à propos des aspirations maximalistes (ordinateur tout puissants à terme) de l’IA, auquel Simon répondra respectivement sur le fait que les sources de l’IA sont clairement identifiées dans le foisonnement de la cybernétique (architectures de Von Neumann) autour des années 50 et précèdent la séparation des deux disciplines pour le premier, et sur la relativité des grandes polémiques scientifiques telles celles ayant trait à la révolution darwinienne, sans oublier les sources mythiques (allusion à Dreyfuss et au rapport de Lighthill à propos de l’IA) qui alimentent la science. Dans l’ensemble, un texte riche dans lequel on voit émerger la science des systèmes complexes et le développement de l’IA. Il se poursuit en annexe par un cadrage sur le contexte du colloque et un ensemble de questions-réponses passionnantes liées à de nouveaux débats ou commentaires sur le sujet.
Joëlle DAUTRICOURT est artiste graphiste et sculpteur. Elle mène une recherche et une expérimentation artistique aux sources de l’écriture.Après des études de Lettres classiques et modernes en Sorbonne, elle rencontre les mouvements d’avant-garde à la Galerie St Petri Archive of Experimental and Marginal Art ouverte par Jean Sellem à Lund en Suède, puis elle mène à partir de 1979 une recherche et une expérimentation autour de la question « Qu’est-ce que l’écriture? », de la naissance des symboles aux nouvelles technologies de l’infographie. Au début des années 80, elle donne des conférences sur l’histoire de l’écriture sous le titre Écritures du Monde et se livre en même temps à des expériences poético-plastiques sur la physique et la dynamique de l’écriture, à travers les Dessins-Écriture et les Écritures Imaginaires, les Formules Graphiques et les Livres Noirs. Avec les Os Écrits, elle découvre que « forme et matière ne sont dans l’os qu’une lente et même pensée » (in Joëlle Dautricourt, Sculptures, Paris, 1986). Puis du tampon au copy art, elle exprime « en deux mots, la création » comme l’écrit Gladys Fabre, dans la génération des travaux Wordwork réalisés de 1992 à 1996. Le mot WORD est matière à l’œuvre, WORK (voir PLASTIR 17, 12/2009). Elle expose depuis 1980 en France, en particulier à la Galerie Antoine Candau en 1987, au Canon Center des Champs-Élysées en 1996 où elle bénéficie du sponsoring de la société Canon pour produire une série d’œuvres sur photocopieur, chez Microsoft France en 1997, et au Musée de l’Abbaye Sainte-Croix des Sables d’Olonne en 1998 après un séjour en résidence d’artiste. Elle participe également à de nombreuses expositions collectives en Italie, au Japon, et aux États-Unis dans la collection Ruth and Marvin Sackner Archive of Concrete and Visual Poetry, ainsi que dans les expositions « Women of the Book » organisées par Judith Hoffberg. Elle a réalisé de nombreuses performances utilisant la voix, le tracé et le mouvement, notamment au 1er Salon du Livre au Grand Palais et au 1er Manifeste du Livre d’Artiste/Livre-Objet au Centre Georges Pompidou en 1981, ainsi qu’au 1er Festival de Performances de Paris à la Galerie Donguy en 1982.De 1995 à 1997, elle obtient de la Délégation aux Arts plastiques une formation aux nouvelles technologies de l’image à l’Atelier-Image-Informatique de l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs à Paris. À l’aube de l’an 2000, elle lance son premier site web sur internet, Workshop de la Scripturalité. En 2002, elle co-signe avec Sophie Charrier la mise en ligne de Big Bang Fäerie, le premier web théâtre optique créé par Big Bang Art Inner Mouvement.Depuis la fin des années 90, elle a exploré la scripturalité et la poésie graphique dans la double filiation des avant-gardes du livre et de la typographie et des copistes de l’hébreu, et elle a reçu en 1999 la 1ère bourse pour la création artistique de l’Alliance israélite universelle. En 2006, elle a réalisé un vitrail à la mémoire des enfants victimes de la Shoah pour la construction de la nouvelle synagogue du Centre Maayan. Son œuvre Le Livre de l’Écriture Heureuse a été exposée au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme à Paris en 2010 et au HUC-JIR Museum à New York en 2012. Le magazine américain « Moment » la mettait à la une en première de couverture de son numéro de mai/juin 2012 en lui consacrant un article de huit pages. L’œuvre a été présentée en vidéo projection lors d’une conférence de l’artiste à l’Academy Art Museum de Easton dans le Maryland en juin 2013. Nanto, son emblème de village gaulois créé pour les 12èmes Conviviales Art Cinéma Ruralité, a été inauguré à Nannay dans la Nièvre en août 2012.En octobre 2017, Joëlle Dautricourt a achevé la rédaction de L’Écriture Heureuse, ouvrage littéraire composé de dix textes qui jalonnent sa quête de complémentarité entre expression graphique et expression verbale. Ses Écrits d’artiste de 1978 à 2015 ont aussi été rassemblés. Autant dire que son œuvre profonde et qui nous interpelle demande à gagner en amplitude et que nous souhaitons y contribuer en vous faisant découvrir « Fréquences manuscrites ». Tout est dit dans les premières lignes : « Écrire est un acte lent. La pensée s’accorde au rythme de la main. Il y a une façon de ralentir et de se sentir respirer. Les yeux suivent le fil déroulé par la plume, se troublent momentanément, fixés sur le fil-cheveu démesurément fin qu’un souffle, une poussière suffisent à infléchir. Miroir d’un geste. Vibrations en quête du son. Au plus près du devenir. Dans l’intervalle suspendu de la vie dans la vie. Là est le livre. Comme un bloc infini. Un écart de temps où tout le possible plane..»., et magnifiquement illustré. Que dire de plus, sinon vous laisser découvrir le travail de la graphiste et de la poétesse que nous avions publié à propos du rouleau de Golemah dans Plastir 18, 03/2010) ? En filigrane, le travail scriptural insuffisamment mis en valeur dans nos sociétés par trop iconiques où la typographie tend à devenir une valeur obsolète, et un peu comme dans « Le livre de l’écriture heureuse », une explosion de signes qui nous parlent..
HERMÉNEUTIQUE D’UNE DIFFÉRENCE SUBTILE DE VOLUME CÉRÉBRAL – STRATÉGIES POUR UNE DONNÉE
Bernard TROUDE est sociologue, PhD en Sciences de l’Art de Université Paris I et chercheur dans plusieurs laboratoires de l’université de la Sorbonne Descartes Paris V, notamment au CEAQ (Centre d’Études sur l’Actuel et le Quotidien). Il est également ingénieur généraliste, professeur en sciences du Design et Esthétique industrielle, co-directeur de « Re-penser l’ordinaire », plasticien et contributeur de nombreuses revues telles Plastir, Ganymède, Cahiers de l’idiotie(Montréal), Cahiers européens de l’imaginaire, Arts et Sciencesou encore Ethic, Medecine & Public Health. Il s’est en particulier intéressé à la nature de l’objet – sa prégnance, sa signification, sa déchéance – et de l’homme – sa place dans la société, son rapport à la médecine et la cognition -. Il a récemment rejoint le laboratoire Universitaire de Sciences Cognitives de San Francisco où il contribue à la Revue Médicale Généraliste de Normal (ville proche de Chicago, USA) qui rassemble toutes les éditions universitaires médicales. L’auteur a publié plusieurs articles dans PLASTIR (sommaire), le dernier en date (PLASTIR 45, 03/2017) ayant trait à la notion plastique de don. Dans ce numéro, il aborde sans esprit polémique aucun et en se situant sur le plan de la donnée, la différence de volume cérébral décelable entre les deux sexes. Il résume son approche en ces termes : « En biologie, en philosophie ou en expérimentation de laboratoire, la formulation est primordiale. À une réalité quasi visible, il est plutôt intéressant d’intervenir sur la donnée minime qui peut tout changer dans l’action, la compréhension et sur les résultantes pour l’explication d’un fait. Refuser de laisser de côté une différence notoire mais infime, c’est encore refuser de laisser enfermer cette différence de volume de cerveau dans les termes d’une Nature ou pire d’une mentalité singulière. Le développement dans ce texte éclaire sur des contingences possibles, sur une logique avec laquelle s’explique le pourquoi de certaines différences entre cerveau femelle et cerveau mâle ; autres stratégies du sens pour une donnée de la différence volumique cérébrale. C’est un discours sur un indice, pas encore exploité, ne visant pas les généralités, intégrant en lui des perspectives comme globalités aboutissant à des évolutions en continu. C’est de cette différence que naissent l’ampleur et les ressources différentes à partir du « milieu » cognitif, l’espace de plasticité. Étudions surcette nouvelle donne : comment l’écart de volume peut-il être la source d’effets ? Diversement formulé : à quoi cette différence de volume donne-t-elle accès ? Ici, l’herméneutique s’est construite sur cette différence de volume : d’une part la généralité d’une connaissance du cerveau et sa figuration, et de l’autre un regard sur la spécificité de l’écart de volume, cerveau mâle et cerveau femelle, nouvelle donne pour l’appréciation des fonctions cognitives. » Pour en avoir discuté avec l’auteur, qui a parfaitement connaissance des concepts de sexe social ou de neurosexisme présentés par la neurobiologiste C. Vidal, il n’y a ni jugement porté, ni revendication sexiste dans ce texte. Il est à apprécier dans sa dimension herméneutique et sur le plan de la donnée pure. Cela n’est pas forcément aisé dans la mesure ou le plan sociocognitif est concerné, cependant, il s’agit là d’entrer dans un univers ou dans un espace de plasticité singulier où on considère le sens possible d’un écart de volume… Exercice délicat, mais auquel je suis sûr que les lecteurs de Plastir se plieront volontiers.
Claude BERNIOLLES, diplômé en droit, est à la fois poète, philosophe et essayiste. Il a contribué sur le plan littéraire à de nombreux numéros de PLASTIR (voir Sommaire), traitant des œuvres de Bonnefoy, d’Anatole France, de Barthes, de Wittgenstein et plus récemment de Cervantès (PLASTIR 42, 06/2016, PLASTIR 44, 12/2016). Dans ce numéro, il se livre à un exercice différent, qui relève du récit ou du carnet de voyage… dans la province du Yunnan. Tour à tour poétique, anecdotique, curieux, humoristique ou dérivé du roman avec la présence de Murphy, ce texte nous fait assurément voyager et pas que par la pensée… On emprunte en effetles routes sinueuses foulées par Marco Polo –“Si j’avais pensé me trouver perché à 1900 mètres d’altitude dans une ex-tribu montagnarde, l’ethnie bai, à des milles de tout monde connu, peut-être même à l’endroit où Marco Polo était passé avec sa caravane au XIIIèmesiècle sur la route de la soie allant à Pékin…”, temps où on pouvait rencontrer les licornes (qui seraient selon Caroutch du shamanisme asiatique précise l’auteur)…, on découvre dans le désordre lequadrilatère de Dali, « la rue des étrangers Hugo Lu, appelée précisément Yangren Jie, rue des Etrangers », au loin la montagne Hongshi Shan visible se véranda, le Dalinan sur la porte sud, plus loin le lac Erhaiet les statues en pierre représentant le Gilin et enfin une province limitrophe du Yunnan dénommée Guizhouoù ont été inventoriés, des rites shamans peints sur les parois rocheuses de la grande falaise rouge Shizu, site sur lequel nous avions fait un numéro de Plastir franco- chinois comprenant des photos et témoignages exceptionnels (Plastir 37-12-2014 ). Au final, c’est le rythme de la traversée et la narration qui l’emportent… laissant deviner toute la richesse du berceau asiatique et de ses rives lointaines. Laissons nous emporter…