Plastir n°47 – 09/2017

PRENDRE SOIN DE L’HUMAIN « ROBUSTE ET VULNÉRABLE » AU TEMPS DES TECHNOSCIENCES ↵

Thierry MAGNIN, actuel recteur de l’Université catholique de Lyon (UCLY), est physicien de formation. Docteur en théologie, il a été enseignant-chercheur en physique à l’École nationale supérieure des mines de Saint-Étienne, puis à l’Université de Lille, avant de rejoindre le séminaire universitaire Saint-Irénée de l’UCLY qui l’orientera vers une carrière ecclésiastique. C’est ce double cursus qui prédomine dans la plupart de ses réflexions sur les rapports entre la science et ce qu’en fait l’homme, notamment à l’ère de la bionique. Grand prix de l’Académie des sciences en 1991 et membre du comité national du CNRS jusqu’aux années 2000, il a notamment publié : Paraboles scientifiques, Nouvelle Cité, 2000, L’univers a-t-il un sens ? avec Jean Audouze, Controverses/Salvator (2010); Écologie et économie en crise : qu’en disent les religions ? avec l’équipe de l’Institut catholique de Toulouse (ISTR), L’Harmattan (2011); Le scientifique et le théologien en quête d’Origine, Desclée de Brouwer (2015) et Penser l’humain au temps de l’homme augmenté, Albin Michel (2017). Or, nous sommes là au cœur du sujet qu’il aborde pour PLASTIR et résume en ces termes: « Les NBIC (Nanotechnologies, Biotechnologies, sciences de l’Information et sciences Cognitives) ainsi que l’Intelligence Artificielle suscitent aujourd’hui autant d’espoirs pour la médecine que de craintes éthiques. Le passage de l’homme réparé à l’homme augmenté est en question, sur fond de transhumanisme. L’objectif ici est de montrer que les nouvelles perspectives de la biologie sur les relations réciproques entre biologie-psychisme ouvrent de nouveaux horizons en éthique, à partir des notions de plasticité, de vulnérabilité et de complexité pour un vivant dont nous avons à prendre soin, pour l’humain en particulier. »

COMMENT ÉCOUTER UNE BALEINE À BOSSE ? ↵

Aline PÉNITOT, compositrice de musique concrète, et Olivier ADAM, chercheur bio acousticien, signent cet article à deux voies interrogeant de plein fouet le lien art-science et renouant par là avec cette non scission propre à la Renaissance vers laquelle nous voulons tendre. – Selon l’artiste, « Les baleines véhiculent une charge émotionnelle, symbolique et historique d’une profondeur abyssale. Il est probable que même Herman Melville n’ait pu en faire le tour avec Moby Dick. Leurs chants fascinent. Petit tour d’horizon d’une écoute musicale des baleines à bosse à la manière des compositeurs et compositrices de musique concrète. » Arrière-arrière-petite-fille de corsaire normand, Aline Pénitot est née sur un continent. Poursuivie par des études sérieuses, elle s’échappe souvent, en voilier, à travers les océans. Elle s’est amarrée plusieurs années au studio de composition de Christine Groult à Pantin. Aujourd’hui, elle est journaliste, autrice de radio et compositrice de musique concrète. Elle travaille au développement d’une interface humain-machine-baleine. Ses compositions et pièces radiophoniques ont été programmées sur France Musique, France culture, la RTBF, la RTE, la radio groenlandaise et de nombreux festivals. Elle a reçu la bourse du côté des ondes, la bourse brouillon d’un rêve et la bourse Pierre Scheaffer de la Scam, la bourse Dicream du CNC. Elle est lauréate de la Diagonale Paris-Saclay. Elle a été en résidence au Groupe de Recherche Musicale, au Centre National de Création Musicale de Reims. En 2017, elle est en résidence à Why Note, centre d’art le Consortium de Dijon, au CCR les Dominicains à Guebwiller et à la Fondation Royaumont. – Selon le scientifique, la question se pose en ces termes : « Que savons-nous des chants des baleines à bosse aujourd’hui ? Comment les mâles génèrent ces vocalises si complexes pendant les périodes de reproduction ? Ma démarche scientifique vise à répondre à ces questions afin de mieux comprendre leurs comportements, leurs interactions et ainsi mieux les protéger ». Olivier Adam est professeur à l’Université Pierre et Marie Curie, spécialiste en traitement du signal et en bioacoustique. Il étudie les cétacés depuis 2001 dans l’équipe Communication Animales de l’Institut des Neurosciences Paris Saclay. Il est actuellement porteur de trois projets de recherche : l’analyse des chants des baleines à bosse, l’étude des interactions mère-baleineau chez les baleines à bosse, et la détection et l’identification automatique des émissions sonores des cétacés. Il a rédigé plus d’une quarantaine d’articles parus dans des revues scientifiques internationales, a publié en 2017 le livre « Cétacés, Nouvelles connaissances issues de la recherche française », et organise régulièrement des conférences sur ces thématiques. Il s’agira pour nous de saisir ce cheminement au travers d’un projet art et science exemplaire en ce qu’il traduit plus un processus imminent qu’une démarche proprement volontariste. Et cela se conçoit à tous les niveaux. La compositrice est navigatrice aguerrie, apnéiste et électroacousticienne, s’inscrivant dans la ligne de Schaeffer, et le chercheur est neuroscientifique et passionné des chants des baleines à bosse, mais aussi de la signature sifflée des dauphins. L’histoire de leur épopée draine équipages de marins, concertistes, réalisateurs de films et scientifiques de terrain, depuis cette révélation en 2012 où Aline Pénitot ne peut distinguer le chant des baleines de l’œuvre du bassoniste Brice Masson. Techniquement, cela s’explique par des cordes vocales doublées, mais c’est l’histoire singulière qui débute et la réponse de la baleine à bosse qui nous intéressent ici.

LE FINI ET LE NON FINI EN BIOSÉMANTIQUE ↵

Kaled AÏT HAMOU est un chercheur en biosémantique que nous connaissons de longue date à PSA, car il nous avait présenté, son travail sur « Les productions du sens, leur analyse neurosemantique dans l’expression des phénomènes naturels et des modes de raisonnement » lors des Conférences du Groupe des Plasticiens ou GDP à l’Institut de Paléontologie Humaine à Paris en 1997. Nous suivons ses recherches depuis (PLASTIR 2, 11/2005, PLASTIR 28, 09/2012). Directeur du département de linguistique de l’Université d’Abidjan de 1982 à 1990, il a plus récemment été chercheur associé au centre de linguistique quantitative de Paris VI, puis Président de l’ONG TERRA PARKIA œuvrant au Sahel. Il a récemment publié « Biosémantique », un essai qui fait une synthèse de ses travaux chez TheBookEdition (2015). La biosémantique y est définie comme la discipline la plus apte à rendre compte des relations entre certaines structures anatomiques du cerveau d’homo sapiens et ses productions sémantiques. Incluant, outre la neuroanatomie, des approches multicentrées en phoniatrie, en linguistique, en didactique et en logicomathématique, cette approche holistique nous permet d’introduire sa présente contribution à PLASTIR. Il s’agit pour l’auteur de décrire les gradations spatio-temporelles, les approximations dans la mesure du monde physique sont simulées au niveau langagier par des adverbes, des désinences, des réduplications ou par la tenue vocale (élongation syllabique) au niveau oral. Toutes ces simulations caractérisent pour lui le FINI . Deux structures neuro physiologiques du cerveau neural autorisent ces simulations langagières, le CENTRE LARYNGÉ et le NERF LARYNGÉ SUPÉRIEUR. Le cortex d’Homo Sapiens possède ces deux structures, Sans elles, la simulation du monde fini est celle du cortex neural d’un primate. L’itération d’un processus, l’approximation numérique les gradations dans le monde physique ne pourraient être simulées par le cortex neural. Ce phénomène peut être observé lors d’une thyroïdectomie avec ablation du nerf laryngé supérieur. Le NON FINI, siège de la communication hormonale intègre ces structures du cerveau neural. Le concept d’infini en mathématiques est bien sûr dépendant de la simulation des deux modes de communication neurale et hormonale.  » Très petit devient aussi petit que l’on veut ! «  nous dit en l’occurence Kaled Aït Hamou. A nous d’en saisir toute la portée…

CHANT DE GESTES : TENTATIVE D’AMBIGUÏTÉ ↵

Olivier GOULET se définit comme artiste et performer tout en détectant qu’il s’agit d’une fonction des plus ambiguës. Il a réalisé de nombreux travaux et expositions ou conférences recherchant toujours plus loin une expression qu’on pourrait qualifier de transcorporelle. Voici ce qu’il nous dit de la stature de l’artiste: « Signifiant à la fois tout et rien, elle nécessite d’être spécifiée pour que l’interlocuteur comprenne de quoi il s’agit et à quel niveau de compréhension cela se place : plasticien, musicien, cuisinier, jardinier … Le statut même de l’artiste est ambigu, aussi bien d’un point de vue juridique, comptable, que social. Je ne vais pas rentrer dans ces considérations aujourd’hui, mais l’artiste est à la fois profondément inutile et absolument indispensable. L’histoire de l’art nous apprend, en particulier depuis Duchamp que l’art est là où l’on décide qu’il doit être. On mesure donc l’importance de l’intention qui est aussi déterminante dans la notion d’ambiguïté. » Cela introduit parfaitement la gestuelle qui sous tend ses propos et les interrogations qu’il nous soumet dans cet article :  « Comment le sens émerge-t-il de ce magma gestuel et sonore que nous produisons ? J’engagerai un dialogue entre des considérations théoriques et mon expérience propre en m’appuyant sur mes différentes pratiques transmédia : les ambiguïtés de représentation de la peau avec la création des membranes synthétiques SkinBag ; la gestion de l’ambiguïté relationnelle dans certains dispositifs performatifs (baisers protégés) ; la valeur des gestes dansés et le positionnement de son corps dans notre quotidien ; la manière de toucher l’autre par le massage et par ailleurs …  L’ambiguïté est une belle porte d’entrée pour aborder les notions de jouissance, de vertige, d’exhibition, de malaise, de mutation, d’optimal, de caresse, comme un jeu avec la norme, l’usuel et l’être soi-même. Sans en rester à une description des gestes ambigus, le cœur de mon projet est de parvenir à les incarner. Des bugs sémantiques laisseront la place à un temps d’improvisation avec une mise en danger du corps, à la limite de la folie et du ridicule, pour atteindre un état de vibration émotionnelle particulier. Le non verbal envahira l’espace à la recherche de limites gestuelles et sonores, en prenant les accidents comme autant de balises et de pistes à suivre. Les variations chantées et harmoniques parviendront-elles à s’articuler pour produire du sens ? Comment une désorganisation gestuelle se cristallise-t-elle et devient rituel ? La signifiance et l’interprétation sont en embuscade contribuant à l’ambiguë rugosité de notre rapport au monde. »

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