LE PALIMPSESTE DES BATAILLES ↵
Benoît VIROLE est psychopathologiste et docteur en sciences du langage. Ce double cursus agrémenté d’une spécialité en bioacoustique lui donne une expérience unique en clinique humaine et en particulier infantile, domaine où il exerce en tant que psychothérapeute dans les services ORL de l’hôpital Robert Debré (audiophonologie, implants cochléaires) et auprès des enfants sourds dans le premier secteur de psychiatrie infanto-juvénile de Paris. Parallèlement, il participe à différentes missions de consulting et d’expertises, (jeux vidéo, audiologie, littérature infantile, informatique, psychométrie, etc..) et à des études expérimentales en orthophonie, en acoustique, en phonétique, sur les réseaux sémantiques ou sur les facteurs psychologiques liés aux fécondations in vitro et PMA au sein de l’INSERM. Parmi ses derniers ouvrages : Éloge de la pensée autiste, Éditions des archives contemporaines, EAC (2015) ; Mission sur le Yang-tsé , Éditions de la Différence (2013) ; La Complexité de soi, Charielleditions (2011) ; avec Radillo A., Cyberpsychologie, Dunod (2010) et Surdité et Sciences Humaines, L’Harmattan (2009). Dans cet article, l’auteur aborde un sujet inédit pour PLASTIR : les effets délétères et paradoxalement stimulants des guerres sur la littérature humaine. Biais captivant qui analyse autant la forme que le fond, tout en relevant les palimpsestes de l’histoire et le rôle de l’imaginaire. Il résume en substance son approche comme suit : « La littérature, mode d’appréhension du réel, dévoile une vérité sur la guerre. Cette vérité n’est pas la dénonciation, juste mais inefficace de son abomination, mais la révélation d’un lien entre l’expérience de l’être et la morphologie de la guerre. La guerre, guidée par le gradient de la victoire – qui n’est pas la destruction physique de l’autre mais l’actualisation d’un but politique – n’est pas un chaos informe même si, par nature, elle échappe aux planifications pour se complaire dans le brouillard des frictions imprévisibles. De la guerre émergent des formes, lignes de front, saillants, trous, entonnoirs, boyaux, tranchées, et des dynamiques, masses en mouvement, pression, charge, percée, renforcement, encerclement, diffraction… Ces formes et dynamiques paraissent indifférentes à l’Histoire, et de façon plus discutable, à la Géographie. Chaque guerre, chaque combat, quelles que soient leur importance et leur échelle, sont les duplicata de guerres et de combats antérieurs. Le palimpseste des batailles atteste de l’indépendance des formes de conflit vis-à-vis de l’espace et du temps dans lesquels elles se déploient. La littérature, détecte, isole, magnifie, métaphorise, ces formes qui structurent le champ de la guerre et vont servir de cadre à la transformation du héros antique, bras armé du courroux des dieux, en un être aliéné dans la masse, puis en une nouvelle existence individuée, réflexive et désespérée face à l’inhumanité de la puissance. Le traitement littéraire de la guerre, au-delà de son évolution historique, de la variété des thèmes générateurs et des intentions d’auteur, converge vers la perspective contemporaine de la solitude de l’homme. » Site de l’auteur.
LES LIMITES PLASTIQUES DU CORPS HYBRIDE ↵
Judith NICOGOSSIAN est anthropobiologiste, philosophe et chroniqueuse. Épistémologue du corps humain, elle est passionnée par le sujet de l’impact des techniques et des technologies sur le corps humain en santé et en société et s’intéresse aux interactions homme-machine, comme la réalité virtuelle et l’intelligence artificielle. Elle a travaillé 5 ans à Sydney en Australie (Somatechnics, Macquarie University) et au Centre for Social Change Research de Queensland University of Technology (Brisbane). Auteur de nombreux travaux dont l’ouvrage illustré La norme du corps hybride (coll. Mouvement des savoirs, Harmattan, 2016), elle a rencontré dans le cadre de ses recherches ethnographiques des artistes comme Stelarc (bio-art, Melbourne), et ses enquêtes rassemblent de nombreuses interviews d’experts chirurgiens (Professeurs Moutet, Legre), de neurochirurgiens (Alim Louis Benabid, auteur de la neurostimulation profonde), Todd Kuiken, auteur de la Targeted Muscle Reinnervation, d’inventeurs en informatique médicale (Philippe Cinquin, auteur de la bio-pile au glucose ; Bertim Nahum, robot Rosa) ou encore du cybernéticien (Kevin Warwick, auteur de l’implant RFID de University of Reading, U.K.), qui a pour particularité d’expérimenter ses inventions sur lui-même, ainsi que des études sur des patients – et de leurs expériences. Judith Nicogossian a notamment énoncé le concept de l’auto-évolution (anthropobiologie) et travaille sur la possibilité d’une ontologie hybride en tant qu’esthétique de l’existence (philosophie et éthique). Dans cet article, elle questionne l’homme-sujet, l’homme-objet, l’homme-projet, le corps humain en tant que matière vivante, malléable, véritable champ expérimental que les sciences médicales explorent, dans le but de prolonger et/ou d’améliorer les conditions. Ce sont les limites de la plastique du corps hybride qui sont ici interrogées à deux niveaux : 1/ l’adaptabilité des technologies (ex. Réinnervation Ciblée du Muscle ou la Neurostimulation profonde) et des techniques (ex. la prothèse bionique, système d’interface homme-machine, les biomatériaux). Les découvertes en neurosciences au sujet des phénomènes de neuroplasticité et des mécanismes de vicariance fonctionnelle du cerveau simulateur contribuent à aborder les problématiques d’adaptabilité et de rééducation ; 2/ la possibilité ontologique en tant qu’esthétique de l’existence – est-ce que les technologies de soi peuvent utiliser les technologies du marché ? – d’encourager une approche éthique du corps hybridé aux machines et des nouveaux types d’interaction induite. En résumé, dit-elle : « Je questionne ici, – dans un contexte normatif, les techniques et les technologies médicales du corps humain, les représentations émergentes de « corps hybride » et les fractures, les limites corporelles, les disjonctions ; les corporéités insérées dans un trouble paradoxal, de dissonance cognitive, celui à la fois d’augmenter la puissance d’agir d’un individu et d’augmenter la puissance d’agir sur un individu. A introduire une mutation à l’intérieur du système biologique, jusqu’où pouvons-nous aller dans la transformation corporelle sans bousculer la notion d’humanité ? » Blog de l’auteur
DISCOURS À L’INTERFACE DE L’ART DIGITAL D’YVARAL ET DE LA MUSIQUE MINIMALISTE ↵
Frédéric ROSSILLE, compositeur et concertiste a collaboré avec l’IRCAM et l’INA-GRM. Intervenant régulier du séminaire Musique et Arts Plastiques de l’université Paris-IV Sorbonne, il donne des récitals en France et à l’étranger et ses musiques sont créées lors de festivals internationaux. Ancien élève du compositeur Antoine Duhamel, il a collaboré avec le Pr Marc Jeannerod sur des recherches en neuropsychologie de la vision. C’est au mitan des années 1990 qu’il rencontre Jean-Pierre Yvaral avec lequel il partagera sa passion pour les sciences, les arts et la culture. D’où la pertinence de son étude qui vise à mettre en évidence les résonances multiples entre l’art digital d’Yvaral et le courant des musiques minimaliste et post-minimaliste. Pionnier de l’art numérique, Yvaral (1934-2002) n’a cessé d’explorer le champ des possibles en exerçant un art géométrique et combinatoire. Second fils de Claire et Victor Vasarely, il est l’un des co-fondateurs du Groupe de Recherches d’Art Visuel (GRAV) qui s’épanouira au cours des années soixante. Plus tard, ses créations prendront l’aspect de séries à thèmes, telles ses « Structures cubiques » et ses « Horizons structurés ». A partir de 1975, ses recherches s’orienteront vers la création de visages et paysages « numérisés » pour lesquels il s’aidera de l’outil informatique à partir de 1985. La musique minimaliste nait au début des années 1960 aux États-Unis avec les compositeurs La Monte Young, Terry Riley, Philip Glass et Steve Reich. Après avoir présenté une pièce minimaliste de Steve Reich, notre quête se prolongera vers le courant post-minimaliste qui s’étale de 1975 à nos jours et auquel se rattachent des compositeurs d’origines diverses et d’esthétiques variées. Nous présenterons ainsi des pièces de John Adams, Gavin Bryars, Laurie Anderson, Ryuichi Sakamoto et Takashi Yoshimatsu. Au fil des mises en correspondances entre art digital et musique minimaliste, notre attention se portera sur les matériaux, les procédés, l’élaboration de la forme, mais aussi sur les philosophies sous-jacentes aux démarches des créateurs. In fine, Frédéric Rossille, nous montre avec brio ici comment le concept de musicalité s’applique à l’art numérique d’Yvaral. Site de l’auteur.
LE CARTÉSIANISME DES MODÈLES SCIENTIFIQUES ↵
Abdelkader BACHTA est professeur de philosophie à l’Université de Tunis. Auteur régulier de PLASTIR, il a publié de nombreux articles sur les apports théoriques du mathématicien René Thom qu’il a récemment rassemblé sous forme d’un livre intitulé « La modélisation scientifique – études sur la pensée modélisatrice de René Thom » (MtL éditions, Tunis, 2016). Plus généralement, l’auteur traite des modèles scientifiques et des théories de la connaissance, à l’image de son récent essai publié dans PLASTIR 43, 09/2016 qui aborde les paradigmes extrêmes des sciences physiques et mathématiques du 20ème siècle comme le cartésianisme et l’idéalisme, en les resituant dans un contexte épistémologique lucide. Preuve en est la première question posée dans cet essai par Abdelkader Bachta : « Quel rapport entretiennent les modèles scientifiques avec l’identification cartésienne : entre unir, généraliser et réduire ? » Il y répondra en partie versus la deuxième régle du Discours de la méthode de Descartes, en référence à la mathématique de Thom ou de Tarski et à la physique de Bohr et de Galilée. L’effet des autres règles n’est pas pour autant négligé. Bien au contraire, l’auteur s’applique à montrer toutes les exigences d’une telle unité comme ses significations profondes, ce que nombre d’auteurs anticartésiens d’office esquivent aujourd’hui, passant à côté de l’énorme champ modélisateur ouvert par Descartes à la base de l’édification de toute construction ou modèle scientifiques, comme de l’oeuvre d’un d’Alembert ou d’un Comte, pour ne retenir que le positivisme d’une philosophie qui, si on s’y appesantit, est loin d’être purement mécaniste. Mathématiques quantitatives, mais aussi qualitatives seraient concernées selon l’auteur, autant que « le monde vide et sans résistance » de Galilée, précurseur de la relativité resteinte d’Einstein… ou la mathématique universelle des Régulae de Descartes, dont les principes liant matière et étendue font partie « des simplifications, nécessairement unifiantes et généralisantes, faites pour évacuer le subtantialisme des classiques…» D’où cet « arrière fond ontologique de toute modélisation » dont nous sommes tous redevables à Descartes.