Michel MAFFESOLI est sociologue, membre honoraire de l’Institut universitaire de France, professeur à la Sorbonne où il a fondé en 1982 le centre d’étude sur l’actuel et le quotidien (CEAQ) avec Georges Balandier, laboratoire de recherche centré sur les nouvelles formes de socialité et d’imaginaire publiant deux revues (« Sociétés » et les « Cahiers Européens de l’imaginaire« ) et administrateur du CNRS. Il dirige également le centre de recherche sur l’imaginaire à la maison des sciences de l’homme (MSH) qu’il a créé avec Gilbert Durand en 1988. Une chaire « Michel Maffesoli » accueillant des sociologues du quotidien et de l’imaginaire a été créée à l’Université de Las Americanas (UDLA) à Puebla (Mexique). Il a également publié de très nombreux ouvrages, dont beaucoup ont été traduits dans plusieurs langues consultables sur le site Michel Maffesoli et est professeur invité dans les universités du monde entier. Ces derniers livres sont « Homo eroticus » (éditions du CNRS) et « Sarkologies » (éditions Albin Michel). Après avoir publié un essai sur Dionysos en tant que figure emblématique de la postmodernité dans PLASTIR 27, 06/12, il nous fait le grand honneur de nous adresser un inédit lié à la thématique de son enseignement actuel, à savoir le dévoilement « adogmatique » qu’il définit comme un moyen d’admettre la multiplicité de la vérité, son « relativisme » au sens de Simmel : « la relativisation d’une vérité unique, et donc la mise en relation de ces vérités singulières. Il s’agit là d’une efficace déconstruction du « substantialisme » constituant le fondement de notre habituelle manière de penser l’ordre des choses. » De fait, Michel Maffesoli, citant Schmitt, part du constat que l’ensemble des catégories analytiques relèvent de théologies dont l’unité de l’Occident a eu la primeur jusque là (arguant une vérité unique d’origine sémitique), et dont l’Orient – juste retour des choses au sens métaphorique des Orients mythiques de Gilbert Durand- s’empare à présent. « Déclin » à comprendre dans le cadre d’un christianisme incarné par une papauté annonçant le « dogme de l’infaillibilité pontificale » (Vatican I) et qui n’a cessé depuis de décevoir, de semer le doute, les questionnements, d’entamer les croyances, ne répondant plus à l’évolution fulgurante de l’humanité. D’où l’écho de cette « orientalisation », qui redonne incontestablement du sens là où on l’avait perdu et surtout relativise quant au « ‘polythéisme des valeurs’ consistant, suivant telle ou telle époque particulière, pour une société donnée, à se « faire les dieux » au sens métaphorique de Bergson ou dialogique de Foucault. Or, « c’est précisément ce que le dogme de « l’infaillibilité pontificale » entend dénier » nous dit M.M. Magistère qui connût des périodes ouvertes et dynamiques avant l’impact majeur de la romanisation uniformisant et inaugurant l’essor des sciences et de la méthode. Cet « empire curial romain » selon Heidegger ou ce dogme ecclésiastique va polariser une société par trop rigide, au moins jusqu’à la fin du XIXe siècle où des penseurs comme Nietzche, Freud ou Jung viendront briser cette unicité et apporter la relativisation. Ce qui accélérera le « Déclin de l’occident » perceptible dans les théories holistes postmodernes comme « l’écosophie », mais aussi dans la nouvelle prévalence de l’affect et de l’empathie dans les liens sociaux. Michel Maffesoli nous le confirme : « C’est bien une telle empathie que le rationalisme du XIXe siècle s’est employé, après l’avoir condamnée, à évacuer. Le grand fantasme de « l’Infaillibilité » scientifique a un nom, c’est la « taxinomie ». Cette obsession du quantitatif croyant qu’il est possible d’appréhender le vivant au moyen d’un classement systématique ou plutôt d’un classement chiffré. En jouant sur les mots, j’ai, en son temps, montré que la taxinomie était devenue rapidement une « taxidermie ». Les objets sociaux étant, dès lors, empaillés et n’ayant plus que l’apparence de la vie ! C’est en ce sens que de la « Connaissance ordinaire » (1989) à la « Raison sensible » (1996), j’ai montré en quoi une pensée de la vie devait outrepasser la réduction rationaliste qui avait fait les beaux jours des sciences sociales en leur moment naissant ». Ces mutations humaines se confirment chaque jour plus encore, donnant plus de force aux anticonformismes de tout bord, aux nouvelles herméneutiques envisageant « le savoir comme saveur », vibrant avec le monde pensé comme impensé plutôt que de faire la sourde oreille. « C’est pour cela que la compréhension est, structurellement, tolérante. Fondamentalement adogmatique. Essentiellement relativiste», dixit l’auteur qui l’oppose à la démarche théorique qui se contente d’asséner le dogme et ne remet pas en question sa foi « en un Dieu Un et son avatar qu’est la Raison souveraine ». L’homme postmoderne porte ce message auquel nous nous associons sans sourciller.
Robert Drury King est assistant professeur au département des Humanités et des Sciences Sociales du Collège Sierra Nevada (NV, USA) et chercheur associé au Centre Leo Apostel de l’Université libre de Bruxelles. Sa thèse de doctorat intitulée, « System Individuation in Differential and Dialectical Ontology: Deleuze, Hegel, and Systematic Thought » a reçu le prix 2011 du « College of Liberal Arts » de l’Université de Purdue (Lafayette, Indiana, USA) en philosophie. Robert D. King a poursuivi son cursus dans différents instituts tels l’école de critique et de théorie de Cornell University (Ithaca, New York, USA); le Collegium Phaenomenologicum situé dans la Città di Castello (Umbria, Italie) ou encore lors des « Unseld Lecture Series » à l’Université de Tübingen (Allemagne). Il a également été « visiting fellow » de l’école d’été du congrès mondial de l’ssociation pour l’économie sociale, bénéficiaire de la dotation nationale des « Instituts d’été des Humanités » et instituts associés pour les études littéraires ainsi que du centre d’étude historique de la politique économique de la « Duke University (Durham NC, USA). Robert a bénéficié d’une subvention de la Société Américaine de Philosophie « Franklin Research Grant », and a été choisi comme membre inaugural de la « London Graduate School’s Summer Academy » dans la section Humanités Critiques. Il assure également la révision d’ouvrages concernant les fondations constructivistes; sujet qu’il a abordé sur le plan ontologique et épistémologique à propos de la clôture opérationnelle dans PLASTIR 24, 09/2011. Dans cet Cessai, il discute la façon dont l’emploi des modèles scientifiques, en particulier ceux de la théorie des systèmes, peut rejaillir sur la crise intellectuelle des humanités. Cette approche se demande si les sciences humaines peuvent se fonder sur une base d’analyse scientifique dans le cadre des systèmes. En particulier, l’auteur interprète la théorie du bouc émissaire chez René Girard et sa théorie de la genèse de la culture humaine sur le modèle d’une théorie générale des systèmes s’unissant à l’ontologie systémique chez Gilles Deleuze. Cette interprétation aide à déterminer si les théories de la culture peuvent être conçues de façon adéquate en utilisant des modèles scientifiques. Robert D. King explique la théorie générale des systèmes chez Deleuze et montre comment elle fonctionne. Sachant que certains lecteurs pourraient être sceptiques à l’idée d’associer la pensée de Girard à celle de Deleuze, il commence l’essai en réévaluant l’estimation de Deleuze chez Girard, se focalisant sur ses interprétations erronées de l’Anti-Œdipe et la théorie complexe du désir chez Deleuze. Il montrera ensuite les affinités profondes entre les projets de Deleuze et Girard. Les études publiées sur les deux philosophes n’ont pas encore reconnues ces affinités, ce que montre l’auteur à propos de la théorie du bouc émissaire de Girard qui peut en fait se fonder sur la théorie des systèmes incluant ses modèles scientifiques, lançant ainsi le débat sur le fondement des sciences humaines au sein des sciences des systèmes.
LES REPRESENTATIONS DES EMPEREURS ROMAINS JULIO-CLAUDIENS EN EGYPTE : BILAN D’UNE ANALYSE
Déborah MOINE est archéologue et historienne de l’art. Elle suit actuellement une thèse d’archéologie antique à l’Université Libre de Bruxelles, après un DEC en polythéismes antiques et un DEA transdisciplinaire en philosophie et lettres. Elle s’intéresse au patrimoine et à sa préservation, ainsi qu’aux échanges interculturels et à l’art sous toutes ses formes, collaborant de ce fait au CreA-Patrimoine qui fédère l’ensemble des programmes de recherche archéologiques à l’ULB. Ses domaines de prédilection sont l’Égypte, Rome, l’histoire des religions, l’Égypte gréco-romaine et le monde celtique. Elle est à la source de nombreux articles, communications, colloques ou conférences dont on pourra trouver certain sur le site d’ULB-Académie ou d’Arts et Lettres et également membre de « la Société Belge d’Etudes Orientales » (SBEO) égyptologue recensée dans la base de données du » Fitzwilliam Museum » de Cambridge ou encore de « L’ULB Africa Sciences humaines » rassemblant en un séminaire les doctorants ayant pour thématique de recherches le continent africain. Dans cet article, elle pose d’emblée la problématique de cette période mal-aimée de l’Egypte ancienne illustrée par la domination romaine dont l’étude relève d’un parcours du combattant tant elle est semée d’embûches (préjugés, cloisonnement des disciplines égyptologiques, défaut de méthode ou d’exploration de nouvelles pistes). Période qu’il convient de décrypter en redéfinissant la problématique et à la lumière d’une analyse fine de la stratégie de représentation Julio-Claudienne. C’est ce à quoi s’emploie pour PLASTIR Déborah Moine sur tous les fronts : artistique et religieux avec l’examen des stèles, des reliefs, des icônes, des rituels et des offrandes; littéraire avec le décryptage des théories des auteurs latins; politique et géographique avec l’examen de l’implantation des temples et des sanctuaires dans l’Egypte romaine chaque fois relié aux contextes locaux (taux d’alphabétisation, influences romaines, rôles des empereurs et des traducteurs, stylistique templière, spécificité des édifices et des scènes représentées…) A titre d’exemple, l’auteur décrit comme suit la simplification des scènes d’offrande durant cette ère. « L’arc sémiotique entre le texte, la tiare, l’offrande et les divinités reste bien maîtrisé par les concepteurs d’images de l’époque Julio-Claudienne… ». Elle montre également l’importance des pastiches, des images des Césars ou de l’image féminine utilisées durant la période Julio-Claudienne, à l’instar de Julia Domna, situant à chaque fois le degré de connaissance de l’époque considérée. L’ensemble est illustré par différents détails ornementaux ou exemples de relief très parlants tels « Auguste purifié par Horus et Thot » issu de l’hypostyle du temple de Kalabcha. En guise de conclusion multiple et de fort ancrage interdisciplinaire, on comprendra le rôle crucial des temples comme « lieu de convergence entre l’art, l’économie, la religion, la société et la politique », on s’interrogera sur les cartouches « vides », la centralisation des constructions, la représentation des impératrices ou la politique des Césars en Egypte. Déborah Moine ne se contente pas de nous faire un état des lieux de cette riche période mésestimée, mais souhaite la réhabiliter en nous montrant notamment la valeur de l’art romain d’Egypte dans les dernières découvertes réalisées dans ce domaine à Dionysias par le professeur Papi. Nous lui en sommes reconnaissants.
UN PLASTICIEN A LA RENCONTRE DES SCIENCES COGNITIVES
José-Xavier POLET se définit lui même comme un artiste plasticien protéiforme qui a changé presque autant de fois de pseudonymes qu’il a traversé de pays et jonglé avec les styles. C’est un homme charpenté de ses contradictions et fort de ses choix, un Janus assumant un parcours hors normes, capable du grand écart mental lui permettant de conduire une activité d’homme d’affaires publiques conjointe à celle d’un artiste engagé dans une recherche picturale liée aux sciences cognitives. Toutes expériences confondues, en bon autodidacte des arts, il n’a finalement suivi qu’une seule trajectoire, celle de Marcel Duchamp qui affirma, une fois la photographie inventée, que la création pure se passait derrière la rétine, dans « l’alchimie » du cerveau. Débroussailler ce monde virtuel, au sens de potentiel et latent, voilà ce que propose le domaine émergeant des sciences cognitives. Un immense champ d’investigation où José-Xavier Polet s’engouffre avec passion, lui qui s’attelle depuis des années aux problématiques séculaires de la ligne et de la forme, du contour et de la couleur, comme à celles, plus contemporaines, de la volonté et de l’aléa. En 2003, il crée Art + Science, plateforme internet et passerelle entre artistes et hommes de sciences. S’y retrouvent des membres du MIT et de l’Institut Jean Nicod, et des artistes de renom. Son enthousiasme ne suffit pas et, faute d’être assez centré sur la cognition, de ne pas établir de frontières assez précises entre technologie, recherche scientifique et avancées esthétiques, le projet précurseur n’est soutenu par aucun acteur d’importance. Bien qu’elle ne perdure pas, l’entreprise permet à notre homme de se frotter à des concepts innovants, à des interrogations décisives pour lui, bien qu’embryonnaires. Il entre en « terre d’Utopie cognitive » et passe d’une démarche cérébrale et intentionnelle à une facture plus impulsive, plus en phase avec l’affect et le fusionnel. Il s’approprie l’idée de jeu, d’incertitude. Cette involution s’accompagne d’un abandon, qui fait la part belle au ruissellement, à la tache. Il métabolise concrètement ce que la théorie s’essouffle à démontrer. Les abstractions de José-Xavier Polet sont les instantanés d’un moment de sa vie intérieure. Depuis une douzaine d’années qu’il expose régulièrement aux quatre coins du Globe, il se livre un peu plus à chaque fois, sous des augures souvent déroutants, jalons d’un continuum libre de contingences. Cette fois, c’est au Pôle Scientifique et Culturel d’Alès que le plasticien José-Xavier Polet a donné une exposition d’envergure qui fait le lien entre son travail abstrait et les sciences cognitives. En 8 jours de temps (du 27 septembre au 5 octobre 2013), plus de 400 visiteurs ont pu découvrir une cinquantaine de pièces de facture récente, une dizaine de panneaux explicatifs, un diaporama de plus de 500 vues retraçant le continuum artistique de l’artiste. Et pour faire bonne mesure, le public avait le loisir de regarder 3 DVD relayant des conférences scientifiques dédiées aux liens entre l’art et la science. Le tout sur plus de 400 m2, dans d’anciennes écuries magnifiquement réaménagées. Cette exposition, d’un caractère plutôt rare, se situait judicieusement dans le contexte de La Nuit des Chercheurs. Les lecteurs de PLASTIR pourront en avoir en aperçu sur Métacognition ainsi qu’en lisant la transposition du contenu illustrée de la plupart des panneaux exposés dont certains sont reproduits.