Rémy CHAUVIN, zoologiste, professeur honoraire à la Sorbonne 12 Avril 1996, Institut de Paléontologie Humaine, Paris.
Rémy Chauvin attaque de front le débat annoncé en déplorant l’opposition, le sectarisme si souvent constatés entre les tenants du darwinisme et les autres, que l’on jette indifféremment dans la fosse du créationnisme. Ce débat, décrié non seulement en France mais en Grande Bretagne, regarde surtout le post-darwinisme, car Darwin avait lui-même émis des réserves quant à ces approches, et a probablement été dépassé par l’énorme impact socio-théologique du propos. R. Chauvin souligne que les traces positives de cet apport sont encore très vivaces, et regardent essentiellement l’énorme masse de travaux pluridisciplinaires engendrés à la suite de la théorie de la sélection naturelle.
Par mille petites anecdotes significatives, l’auteur va ensuite nous faire sentir la fragilité de l’ossature de l’hypothèse microévolutionniste stricte, et les raisons sourdes de son enracinement. Il citera deux tendances marquantes: le darwinisme triomphant avec l’horloger aveugle de Dawkins ou les positions de Dennett, et les hypothèses gradualistes avec les travaux de Fischer, découvrant déjà des failles de raisonnement au niveau des petites variations situées en deçà de ce qui est mathématiquement vérifiable.
Dans le même ordre d’idée, R. Chauvin critique la surabondance, l’acharnement de certains travaux scientifiques tendant à prouver un paradigme ou à vérifier un modèle, sans qu’il y ait d’interrogation véritable sur leur adéquation au réel, ou qu’ils constituent la moindre preuve de vérité. C’est le cas des modèles psychobiologiques traitant du renforcement de l’habitude chez le rat en labyrinthe, ayant donné lieu à environ 6000 publications, alors que l’observation de l’animal en milieu naturel a révélé de toutes autres aptitudes ! La preuve inverse est donnée avec les fameuses éclipses de Ptolémée, qui décrivaient un phénomène conforme à la réalité, mais dont les calculs se sont avérés faux par la suite.
R. Chauvin va ensuite passer en revue certains contre-exemples marquants de l’épopée du post- darwinisme, dénonçant les nombreuses tautologies ou les amalgames faits à propos de l’adaptationnisme. Citant Gould, il rappelle, avec mon vif assentiment, qu’il s’agit avant tout d’une description de la plasticité de la vie, et que théoriser sur le fait qu’un animal soit adapté n’a (en dehors de l’intérêt descriptif) pas de sens véritable. D’un autre côté, les auteurs qui ne prennent pour critères que le hasard et la sélection naturelle pour expliquer l’évolution se fourvoient, dans la mesure où des notions-phares comme les traits ou les fonctions organiques, dont l’utilité est incontestée, sont considérées isolément de leur contexte.
R. Chauvin cite Delsol et son explication du rôle du hasard dans l’émergence de l’œil en tant que tache pigmentaire se spécialisant. Il donne aussi l’exemple des fourmis voyantes et aveugles, qui se servant de leur odorat, ont une efficacité et une adaptation à la vie en société tout aussi bonne. Enfin, l’auteur décrit plusieurs exemples de mutations inutiles pour l’espèce, comme certains insectes mimétiques des troncs de bouleau dont la population a muté à cause de la pollution industrielle (ils sont devenus blancs et donc repérables par les prédateurs), et pour lesquels l’explication était faussement évidente, puisqu’il s’est avéré, paruneobservationfinedesnaturalistes, quecetteespèce neseposaitquesurlesfeuillesdecetarbre!
Je ne peux tout citer, mais l’auteur nous a décrit le même type de travers au niveau des comportements chez les jeunes babouins, où l’interprétation dominante était qu’un cordon de gardes du corps protégeait les femelles et les petits contre les prédateurs, assurant donc leur descendance génétique, alors qu’une observation de leurs mœurs a montré qu’ils fuyaient lors de ces attaques, laissant les gros prédateurs dévorer leurs proies. En outre, leur lien de paternité n’avait pas été vérifié dans ces études. De même, l’hyène, longtemps considérée comme hermaphrodite, s’est avérée avoir un taux d’androgènes important, et être dominante sur les mâles, assurant la protection des petits, à l’inverse de la lionne. Il faut donc relever qu’il y a des mécanismes qui ne marchent pas des espèces admettant le même biotope, plutôt que de généraliser la théorie darwiniste.
Enfin, un ou deux derniers exemples marquants, afin de bien situer les enjeux actuels de ce débat. R. Chauvin souligne en effet, que plutôt de se focaliser à étudier sans relâche la drosophile (ou mouche du vinaigre) dont les stades évolutifs sont connus, on ferait mieux de s’intéresser à des espèces évoluant sous nos yeux comme ces étonnants gobi marcheurs d’Abidjan, poissons dotés d’une double circulation et marchant sur la plage grâce à leurs nageoires caudales (absolument pas étudiés), ou encore des insectes comme le périophtalme et la colombole ayant près de 500 à 600 millions d’années, et qui malgré des mutations incessantes, sont toujours les mêmes aujourd’hui.
En conclusion, Rémy Chauvin voudrait qu’on tienne avant tout compte de la physiologie et de la fonctionnalité des mécanismes naturels, plutôt que de disserter à outrance sur la bifurcation de l’épine dorsale de tel ou tel poisson ! De même, il dépassionne le débat suranné du darwinisme pour s’intéresser aux questions de fond. Ces positions correspondent amplement à notre conception de la plasticité en tant que théorie fonctionnelle de la genèse des processus évolutifs, en opposition aux tenants du systémisme comme expliquant tout.
Rémy Chauvin : “ Le darwinisme où la fin d’un mythe “, Editions du Rocher, 1999.