BHL, DE LA GUERRE EN PHILOSOPHIE OU DU « GUÈRE PHILOSOPHIQUE »: LE RETOUR DU MYTHE
Patrick MENNETEAU est normalien et professeur de littérature et d’histoire des idées du siècle des lumières britannique à l’université du Sud-Toulon-Var. Docteur en littérature écossaise du XVIIIe siècle, il a publié de nombreux essais sur Robert Fergusson, James Hogg, William Blake, Charles Dickens, John Locke, David Hume et un ouvrage sur William Blake aux éditions Champion, Paris en 1999. Il anime également de nombreux séminaires sur la poésie de Blake et plus généralement sur la méthodologie de la critique littéraire, l’histoire des idées du XVIIIe siècle ou encore la psychanalyse jungienne. Il se livre dans cet article à une double lecture de la pratique philosophique par le biais d’une mise en œuvre singulière. Celle du célèbre philosophe, romancier, essayiste ou encore éditorialiste Bernard-Henri Lévy dit BHL. C’est une première pour PLASTIR qui n’a pas coutume d’accueillir d’articles ciblant une personnalité, médiatique de surcroît. Cependant, nos doutes se sont vite dissipés, car le propos dépasse toute polémique pour poser des questions de fond sur la pensée philosophique et mythique. Ainsi, d’emblée Menneteau distingue-t-il la démarche de BHL du débat de fond crucial qui l’anime. Je cite « Est-il encore possible de faire de la philosophie aujourd’hui ? », « Le philosophe a-t-il encore droit de cité ? » ou encore, quand il cite BHL à propos du déclin de la philosophie : « Heidegger commentant la célèbre boutade à quoi était censée se résumer la vie d’un philosophe […] : ‘il est né, il a travaillé, il est mort’ ». Débat inscrit loin des Lumières et dans un monde où la science dicte les lois de l’univers, tend à dissoudre le concept même de philosophie. L’auteur évoquera ensuite tour à tour l’affaire Botul et la critique acerbe qui s’en est suivie à propos de Kant, l’aversion pour l’art de la citation ou au contraire la lecture sauvage des textes prônée par BHL au détriment d’un approfondissement de la problématique de fond. Un élément de réponse plus positif apparaît néanmoins plus loin dans le texte : « BHL nous livre sa conclusion : « Comment je philosophe ? Comme cela. En brûlant les étapes. En court-circuitant les générations ». C’est lui-même qui le dit. Devant de telles affirmations, on peut douter d’être encore dans le champ de l’exercice philosophique. Pourrait-on, afin d’approfondir la critique, élargir la perspective en s’inspirant de ce que propose BHL lui-même ? Si « une philosophie est toujours une confession », n’est-on pas en droit de recourir à quelques éléments de psychanalyse ?…. » Patrick Menneteau approuve ici l’ouverture de BHL qui souhaite ne pas confiner le champ de la philosophie à celui des sciences et de la littérature, mais s’ouvrir aux interprétations psychanalytiques freudiennes et jungiennes. De même, il resitue l’approche supra-matérialiste héritée de Platon dans la perspective post-lockienne, abordant le domaine des systèmes d’organisation politique et abondant l’interprétation de BHL considérant qu’il faut assimiler les génocides à des objets philosophiques de plein droit. Ce faisant, cela l’amène à poser cette question : « Alors BHL est-il philosophe ? N’est-il pas plutôt simplement quelqu’un qui essaie encore de faire de la philosophie… mais qui se trouve en mal de reconnaissance en tant que philosophe dans une société qui n’a plus rien à faire de la philosophie, emportée qu’elle est par son destin tragique… ». Enfin, le domaine de la religion et notamment du mythe chrétien sera abordé avec de nombreux extraits bibliques sous l’angle de « l’irruption de l’archétypal » jungien chez BHL et en particulier discuté sur le plan des confessions, ou des points d’accroche de BHL avec l’approche de Thomas de Quincey ou de Hume. Et Menetteau de revenir sur Botul en faisant le lien avec Jung : « … là où BHL ne retient du grand Botul que la dénonciation des racines spirites du concept de monde nouménal chez Kant, Jung reconnaît le caractère programmatique de ses premières expériences spirites, les intègre dans sa démarche, en révise la définition en termes de complexes autonomes de la psyché, et toujours reconnaît leur place dans ce monde avec lequel BHL prétend vouloir être en prise (alors que son rejet est un a-priori qu’il n’estime même pas nécessaire de justifier !) ». En conclusion, cet article pose la question de la possibilité de la philosophie dans le monde contemporain, en reconnaissant la part, parfois contestable, mais malgré tout pertinente de BHL au débat de fond opposant préjugés matérialistes et perspectives supra-matérialistes, notamment grâce à l’élargissement du champ philosophique au versant mythique de la psychanalyse jungienne.
LA MUSIQUE: RATIONNELLE OU IRRATIONNELLE, ART OU SCIENCE, EMOTION OU ANALYSE ?
Nicolas BRUNELLE est polytechnicien, spécialisé en mécanique quantique et en biophysique moléculaire. Il décidera d’aborder le Management Culturel en 2004 en y approfondissant le lien entre Sciences et Musique, dans la continuité de l’œuvre de Xenakis. Après avoir soutenu un mémoire de DESS sur ce sujet en 2005, il s’occupera de la tournée de la Chorale de la Note Jaune (chants occitans orientalisés) et organisera des expositions de peinture (Charlotte Welfling, Mireille Roll, Carla Robalino Aguirre). Musicien depuis l’enfance, il joue de la guitare et du piano dans diverses formations rock et jazz-rock, puis dans le quatuor de guitares Christian de Chabot jusqu’en 1997 avant de se lancer dans la composition de musique électroacoustique (1999 à 2002), puis dans la création de pièces pour guitare seule jusqu’en 2007. Il enseigne actuellement la guitare tout en administrant le Collectif Cercle de libération du Son et de l’Image, en lien avec le CCMIX et le centre de composition Musicale Iannis Xenakis depuis 2008. Son projet actuel concerne de nouvelles compositions électroacoustiques avec le logiciel Max en utilisant ses connaissances en physique et en s’inspirant de ses nombreux voyages en Amérique du Sud, du Nord, en Afrique et en Europe. Il mène dans ce but des recherches théoriques entre science et musique au CSLI avec Gérard pape et cette année à l’IRCAM avec Alain Bonardi. Son mémoire intitulé « Lien Science/Musique : depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, alliances et ‘’désalliances’’ » a été récemment publié dans la base de données européennes Leonardo/Olats. Il résume son approche ainsi : « L’idée m’est venue de conjuguer, tout, d’abord, la Science et la Musique, à un tournant de ma vie, où j’ai constaté que c’était bien les 2 constantes de ma vie », correspondant pleinement à la non fragmentation de l’être que nous préconisons au sein de PSA. Son article illustre parfaitement ces propos, qu’il s’agisse du parallèle entre mécanique quantique et musique, du rôle de la dialectique rationnel/Irrationnel dans la musique ou encore des rapports art & science. Nicolas Brunelle nous pose la question en ces termes : « Si la musique, l’art et la science supposent des axiomes forts laissant toujours place à un léger doute, une aporie philosophique comme le comma pythagoricien laisse-t-elle la place dans l’Univers de la création à toute nouveauté, à toutes nouvelles créations artistiques ou théories scientifiques ? » Et il donne des réponses possibles : science apollinienne et art dionysiaque, être et néant, relier les deux pôles, etc.. Autant d’ouvertures baignées dans les phrasés musicaux de Iannis Xenakis qu’il cite avec justesse en guise de conclusion: « L’homme est une forme continue dans une réalité discontinue ».
Daniel DANÈTIS est artiste plasticien et professeur émérite au département Arts Plastiques de l’université Paris VIII. Il axe ses recherches sur les processus de création plastique et leur mise en pratique interactive. La médiation artistique fait partie de ses attributs, notamment lorsqu’elle vise à la mise en jeu participative de créations plastiques dans les lieux publics. Daniel Danétis a réalisé dans ce cadre plusieurs programmes d’interventions plastiques en France [peintures murales ou aménagements paysagers pour différentes collectivités locales de la région parisienne, travaux faisant participer ses étudiants : L’oeuvre-livre… ses secrets, ICOM, la Villette; La ruée vers l’art (Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris); Hommage à Gatti (Paris VIII); Le Mikado des droits de l’homme -commémoration du bicentenaire de la Révolution au Grand Palais-, Ecrits vagues -réalisation d’une vague de graffitis au quartier de la Pierre Plate de Bagneux-; Hommage d’images à des artistes du XXe Siècle – art mural au Centre Hospitalier d’Argenteuil -; Graffi t’M – puzzle mural géant à la cité des Petits Paradis de Fontenay aux Roses -; Des racines et nous, Sculptures au parc de Montreuil; Porte-paroles, sculptures modulables pour le spectacle itinérant paroles sous silence au dernier printemps des poètes ; « Jazziographies », série de panneaux réalisés sur des improvisations à l’occasion de plusieurs manifestations de jazz (Banlieue bleue, Jazz à Croix-Valmer Jazz à la Villette, Sceaux What, etc..] et à l’étranger [architectures éphémères au congrès mondial I.N.S.E.A de Zagreb, Kunstruction au symposium d’art contemporain de Burggarten à Vienne en Autriche, création collective au Musée d’art moderne de Wien, Eclats d’art, puzzle géant à la foire internationale de Zurich]. Il a participé à l’animation de différents groupes de travail sur la formation des enseignants concernant l’éducation artistique (commissions de réflexion pour le rapport De Peretti, le rapport Bancel, et le rapport Carraz) et dès la mise en place des IUFM, a crée, puis dirigé jusqu’en 1998, le Service Universitaire de Recherche de Formation des Formateurs et Enseignant de l’Université Paris VIII. Il a dirigé plusieurs colloques: L’éducation créatrice et le temps des loisirs (Congrès mondial I.N.S.E.A.); La jeunesse et l’espace urbain ; Objet d’art, objet de l’art ; Processus de création et travail de groupe; Des musées qui font école; Critique et enseignement des arts plastiques : des discours aux pratiques (colloques organisés dans le cadre des journées d’études artistiques du Centre International d’Etudes Pédagogiques de Sèvres) Il a également publié des articles dans différents ouvrages collectifs : les enjeux de l’éducation artistique (Rapport de la mission R. Carraz); Interventions plastiques et cadre de vie (colloque : la couleur et la nature dans la ville); Distances critiques ou le temps d’un espace entre rêve et réalité (Recherches en esthétique) ; La parole du plasticien peut-elle s’affirmer sans mots dire ? (Critique et enseignement artistique, L’Harmattan) ; « L’îvre d’images » ou l’enseignement des arts plastiques à l’ère des de la multimédiatisation (Pratiques et arts plastiques, Université d’été de Rennes 2); Hybrider l’œuvre d’art pour en débrider la lecture (Recherches en esthétique) ; L’Art en questions : trente réponses (Editions du Linteau); « (Tout) l’art actuel est-il nul ? » (Edition Favre). Il a également publié « Pratiques artistiques, pratiques de la recherche » chez l’Harmattan en 2007. Dans cet article sur le statut de la pensée critique de la création artistique qui sera publié en deux parties dans PLASTIR, Daniel Danétis nous met face au choix drastique que doit faire tout artiste, tout homme face au processus d’invention et de créativité. Doit-il garder absolument le contrôle ou lâcher prise ? Peut-il unir ses contradictoires « exploration divergente et évaluation convergente » dans une même approche ou est-ce faire injure à l’imagination créatrice ? L’auteur analyse finement cette dynamique, son support critique dans l’espace et le temps avant de les rapporter à la démarche de l’artiste ou de l’inventeur. Tour à tour, se dégagent le travail de transposition de toute activité métaphorique profonde, ainsi que ses limites, la naissance de l’invention et d’inévitables césures épistémiques prenant naissance à partir de ces conflits internes de la pensée. En débouche une plasticité créative sans cesse renouvelée… La première partie de cet essai présente le concept de créativité et « les deux postures psychiques en jeu dans la dynamique créative. » La seconde partie traitera des mécanismes psychologiques et intimes régissant cette dynamique.
SUR LES TRACES DE PATANJALI – UNE RELECTURE DES « YOGAS SÛTRA » I À VIII DE PATANJALI
Mariana THIERIOT LOISEL est PhD en philosophie de l’éducation à Unicamp Brésil et post docteur à la faculté de philosophie de l’Université Laval au Canada. Elle a écrit de nombreux articles dans PLASTIR où les lecteurs pourront se référer. Elle aborde ici un sujet différent en pratiquant une relecture de certains « yogas sûtra » au travers d’une grille de lecture axée sur la condition féminine en Orient, sa propre pratique du yoga comme exercice spirituel et les enseignements de Patanjali. L’auteur souhaite ainsi notamment « contribuer à l’apaisement de l’esprit de la terre » afin de mieux cerner les relations entre la femme et le sacré et de combattre la barbarie et la loi du plus fort. Commence ainsi une analyse des Sûtra I à VIII qui distille les états de conscience, la méditation, la vie du yogi, et nous donne les conseils des Patanjali. Ainsi apprend-on « comment déjouer le piège social de l’être-paraître, avec le concept d’Avasthanam » qui peut répondre aux préoccupations de l’auteur au sujet « du reflet renvoyé par l’évaluation, toujours contextualisé ». Le sûtra 4 dit en substance qu’à défaut de déjouer le piège du miroir «… la conscience fluctue selon l’agitation de pensées ». Il s’agit donc de comprendre « la plasticité du rapport surface-profondeur », dit l’auteur avec justesse, avant de citer le sûtra 7 sur l’interpénétration des domaines de la connaissance qui « provient de l’expérience directe, du raisonnement ou des écritures » et l’un des plus célèbres selon B.K.S Iyengar : « le yoga est la cessation de l’activité mentale » (sûtra 2).